Magistrats contre Moubarak

Dans la foulée des juges, les membres des classes moyennes exigent de plus en plus ouvertement une démocratisation du régime.

Publié le 4 juin 2006 Lecture : 3 minutes.

Après le célèbre Kifaya (Ça suffit !), qui fédère les mouvements d’opposition au président Hosni Moubarak – au pouvoir depuis un quart de siècle -, un nouveau slogan fait florès en Égypte : « Longue vie à la justice ! » Les magistrats sont en effet les héros du jour. Parce qu’ils ont entrepris de dénoncer les fraudes auxquelles les élections générales du mois de novembre 2005 ont donné lieu, qu’ils revendiquent haut et fort le respect de leur indépendance et, surtout, qu’ils font chorus avec l’opposition en faveur de sa mise en uvre de réformes démocratiques.
Dernier épisode de ce bras de fer entre les juges et l’exécutif : la comparution devant une commission disciplinaire de deux vice-présidents de la Cour de cassation, accusés d’avoir confirmé en public la réalité des fraudes électorales. L’un et l’autre sont membres du « Club des juges », un mouvement qui rassemble les magistrats contestataires. Bien que ce soit le ministre de la Justice qui, par décret, ait convoqué la commission, le gouvernement soutient contre toute vraisemblance être étranger à cette affaire. À l’issue de l’audience, l’un des juges, Hichem Bastawisi, a fait l’objet d’une « réprimande », tandis que son collègue, Mahmoud Mekki, était acquitté.
Parallèlement, entre 300 et 600 membres de plusieurs mouvements et partis d’opposition (Kifaya, Tagammu, Frères musulmans, al-Ghad) ont été interpellés par la police lors des nombreuses manifestations de soutien aux juges qui ont eu lieu devant le siège de la Haute Cour de justice, au Caire. D’autres manifestants ont été battus par des policiers ou des miliciens en civil. L’un d’eux, le journaliste Mohamed el-Sharkawy (24 ans), qui avait participé à un rassemblement devant le siège du syndicat de la presse, a indiqué avoir été battu pendant quatre heures et avoir subi des abus sexuels.
L’enjeu de cet affrontement dépasse évidemment les frontières de l’Égypte. Parce qu’il met en lumière le fait que, dans tous les pays en transition, l’adoption de véritables réformes démocratiques est impossible en l’absence d’une justice indépendante capable de faire contrepoids au pouvoir en place. En Égypte, conformément à une loi qui remonte à plusieurs décennies, les magistrats participent à la supervision des opérations de vote. Jusqu’ici, ils avaient accepté d’avaler bien des couleuvres, mais les temps changent, le contexte international est aujourd’hui plus favorable aux revendications démocratiques. En novembre 2005, ils ont donc exigé d’être les seuls à assurer le contrôle de la consultation. La confrontation avec le gouvernement était inévitable. Les juges ne sont pourtant pas de dangereux extrémistes. La majorité d’entre eux est même franchement conservatrice, mais il n’empêche : près de la moitié d’entre eux – plus de 3 000 sur un total de 8 000 – ont pris part au cours des derniers mois aux manifestations organisées au Caire en faveur des réformes et du respect de l’État de droit.
Leur mouvement apporte du sang frais à l’opposition, alors que la perspective d’un passage de témoin entre Hosni et Gamal Moubarak se précise. Le premier nie formellement l’existence d’un plan visant à transmettre le pouvoir à son fils, mais sans convaincre grand monde. Réel ou non, le projet est très impopulaire. On s’attendait à des mouvements de protestation de la part des étudiants et des ouvriers, mais, à la surprise générale, les membres de la classe moyenne et même les élites – juges, mais aussi avocats, professeurs d’université, médecins, journalistes, ingénieurs – se sont également mobilisés au sein de leurs associations professionnelles. Et parfois dans la rue.
Désormais, au Caire, les manifestations sont quasi quotidiennes. S’appuyant sur l’état d’urgence en vigueur depuis 1981, après l’accession de Moubarak au pouvoir, les autorités ont largement recours à la répression. Un cordon de policiers est en place, 24 heures sur 24, autour des sièges de l’association des journalistes et de l’ordre des avocats. De même, les ingénieurs sont empêchés par les forces de l’ordre de tenir leurs élections professionnelles au siège de leur association. Aux abords des universités, des véhicules de police ont pris position, prêts à embarquer les étudiants contestataires et leurs professeurs.
Décidément, l’été risque d’être plus chaud que d’habitude sur les bords du Nil. Ce qui n’est pas peu dire !

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