Les Arabes de la Croisette

Publié le 4 juin 2006 Lecture : 2 minutes.

Dans l’histoire du Festival de Cannes, on n’oubliera pas de sitôt le moment du palmarès de la 59e édition où les acteurs marocains Jamel Debbouze et Roschdy Zem, le Tunisien Sami Bouajila, lauréats avec leur collègue algérien Sami Nacery du Prix collectif d’interprétation masculine pour le film Indigènes, ont entonné avec enthousiasme le chant des anciens combattants des bataillons d’Afrique de la Seconde Guerre mondiale : « C’est nous les Africains qui revenons de loin ». Pas plus que l’on n’oubliera l’ovation faite par les festivaliers aux trois anciens combattants maghrébins de l’armée française, venus soutenir avec dignité la projection du film de Rachid Bouchareb qui réhabilite leur rôle oublié dans la libération de la France alors sous occupation nazie.
Ce film produit, réalisé et interprété par des « Beurs » de la deuxième génération d’immigrés en France, qui ont vécu comme leurs parents le racisme et la discrimination, semble ainsi dire aux Français encore traumatisés par les récentes flambées de violence dans les banlieues : « Nos grands-parents ont donné leur vie par centaines de milliers pour votre libération, et vous n’avez toujours pas réussi l’intégration de leurs petits-enfants qui, comme vous, ont le droit de vivre dans ce pays. » Évitant tout manichéisme, le film montre les inégalités de traitement entre Français et Arabes dans une guerre, où, comme le dit le caporal Abdelkader, remarquablement interprété par Sami Bouajila, « les balles allemandes, elles, ne font pas de différence ! ».
Le film, à qui certains journaux français ont reproché le « classicisme » de la forme, est justement « grand public », grâce à l’émotion, à l’héroïsme et à la générosité qui s’en dégage, comparable aux westerns « pro-indiens » de l’histoire du cinéma. Il réussit à humaniser et à nous rendre fraternels ces « indigènes » au départ indifférenciés, et à défendre leurs spécificités culturelles : un film français où les acteurs principaux sont arabes, où la musique est arabe et l’acteur comique favori des Français, Jamel Debbouze, prend le risque de casser son image en jouant en langue arabe. C’est assurément un acte courageux et nécessaire dont il faut saluer la réussite.
Comme il faut saluer la réussite de l’autre film « arabe » présent hors compétition dans la sélection officielle du festival, le documentaire Al Banate dol (Ces Filles-là) de l’Égyptienne (résidente au Québec) Tahani Rached. Tourné en direct dans les rues mal famées du Caire, le film dresse le portrait poignant de plusieurs jeunes filles sans domicile fixe, rejetées par la société, livrées aux viols collectifs, à la drogue et à la mendicité, accouchant dans la rue d’enfant de père inconnu, et qui font tout pour survivre face à la violence quotidienne d’une société conservatrice et patriarcale. Grâce à la justesse, l’honnêteté et la compassion sincère de son regard, à sa capacité à saisir la poésie au cur même des situations les plus sordides (une des jeunes filles parvient à louer un cheval pour galoper en liberté dans le quartier), Ces Filles-là parvient, comme Indigènes, à rendre bouleversante une catégorie de gens oubliés par la société dans laquelle ils vivent. Une double performance hautement salutaire dans le contexte du regain de déni et de schématisation qui règne en Occident depuis un certain 11 septembre.

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