À Casablanca, on ne badine pas avec la religion

Publié le 4 mars 2007 Lecture : 3 minutes.

Il flotte comme un je ne sais quoi « d’ordre moral » à Casablanca. Oh, rien de grave ni de méchant. Rien de très spectaculaire non plus. Le Maroc n’a pas changé du jour au lendemain. Il reste le pays le plus permissif et extraverti du Maghreb, voire du monde arabe. Les filles y sont belles, provocantes, et, pour reprendre la formule chère à un ami algérien, ont la réputation « d’avoir la cuisse légère ». Mais elles sont aussi de plus en plus nombreuses à sortir voilées. Le phénomène touche plus de la moitié de la gent féminine. Le port de « signes religieux ostentatoires » s’est tellement banalisé dans le royaume que plus personne ne semble y prêter attention.
« Mais c’est le Maroc », m’a benoîtement répondu un collègue, après que je lui ai confié mon étonnement devant la proportion de très jeunes filles, de 8 à 12 ans, à la tête recouverte d’un fichu sans équivoque, croisées dans les allées du Salon du livre de Casablanca. L’image est impensable en Tunisie, malgré la résurgence récente et spectaculaire du voile, qui avait quasiment disparu dans les années 1990. Il y a peu de chances toutefois que la montée de l’islamisme se traduise par un raz-de-marée du PJD, le Parti de la justice et du développement, la troisième formation politique du pays, aux législatives du 7 septembre. Les Cassandres, impressionnées par quelques sondages peu rigoureux, estampillés IRI, un institut américain conservateur ayant des antennes au Maroc, créditant les barbus de 47 % des intentions de vote, ont sans doute pris leurs fantasmes pour des réalités.
Tous les observateurs sérieux s’accordent à le penser : les grands équilibres ne seront pas sensiblement modifiés, la carte politique restera émiettée et le pays continuera à être gouverné par une coalition de partis. Il n’est même pas sûr que le très modéré et très makhzénien PJD, qui a plus à y perdre qu’à y gagner, fasse son entrée au gouvernement. Mais cela ne signifie pas que l’insidieux travail de sape des fondamentalistes ne soit pas en train de payer. Pour leur couper l’herbe sous le pied, les autorités multiplient les campagnes plus ou moins discrètes de moralisation des murs. Des lieux de perdition, fréquentés assidûment par certains richissimes touristes du Golfe, ont été fermés. La prostitution se fait plus discrète. La police harcèle désormais les « couples illégitimes » circulant en voiture – un moyen bien commode pour leur soutirer quelques dirhams.
On entend aujourd’hui, y compris auprès des élites éclairées, des discours qui n’avaient pas cours il y a quelques années. À plusieurs reprises, certains de mes interlocuteurs m’ont soutenu que l’hypocrisie régnante avait du bon. Et que les Marocains pouvaient s’estimer heureux de consommer de l’alcool dans les bars, car la loi réserve cette libéralité aux touristes et fait normalement interdiction aux débitants de servir des musulmans. Le pire est qu’ils n’ont pas tort. Le Maroc est bien un pays schizophrène. « Il faut faire des compromis, éviter de heurter la sensibilité religieuse de l’homme de la rue », m’a expliqué la collaboratrice d’un ministre, en faisant référence à une affaire qui a récemment défrayé la chronique, l’affaire Nichane, du nom du magazine arabophone du groupe Tel Quel, interdit de parution pendant deux mois par le Premier ministre pour avoir publié un recueil de blagues populaires dont quelques-unes faisaient innocemment allusion à la religion. Échaudées par l’affaire des caricatures danoises du Prophète, craignant que les médias arabes ne stigmatisent leur passivité, les autorités ont préféré prendre les devants et interdire pour protéger les journalistes d’eux-mêmes. En tout cas, le message est passé : on ne plaisante pas avec la religion.

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