Vingt-trois mois

Publié le 4 février 2007 Lecture : 6 minutes.

Vous me pardonnerez, je pense, si je consacre ma chronique de cette semaine à analyser pour vous « le discours sur l’état de l’Union » de George W. Bush.
Il a été prononcé le 23 janvier, mais la plupart d’entre vous ne l’ont ni entendu ni lu. Il n’en existe d’ailleurs pas de traduction en français, et la presse ne l’a pas vraiment décrypté.

Je ne fais pas de fixation sur l’actuel président des États-Unis, mais il détient des pouvoirs immenses, ses actes rejaillissent sur nous et sa politique est, de l’avis de la très grande majorité des observateurs, dont nous-mêmes, très mauvaise.
Pour son pays, qui, l’ayant élu (et réélu), d’une certaine manière le mérite, mais tout autant, ou même davantage, pour les autres nations, qui, elles, ne peuvent que subir.
Ce discours, que j’ai pris le soin de lire, a retenu mon attention et mérite que je vous en parle parce qu’il met au jour une étonnante contradiction de la politique extérieure américaine menée depuis six ans. Il tente de la dépasser et, ce faisant, annonce une période extrêmement dangereuse, en particulier pour les musulmans.

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La contradiction ? Tous ceux qui observent et dissèquent cette politique ont été intrigués par l’incohérence de la démarche bushienne : comment peut-on, comme il l’a fait, classer l’Iran au premier rang des pays ennemis des États-Unis, rechercher à l’isoler et à l’affaiblir et, en même temps, éliminer du pouvoir, dans l’Irak voisin, le régime de Saddam Hussein, qui servait de contrepoids à ce pays et aurait dû, en bonne logique, être considéré par les États-Unis comme leur allié naturel ?
N’est-il pas pour le moins étonnant que George W. Bush ait mobilisé ses troupes et consacré d’immenses moyens financiers à renverser, en 2003, ce même régime que le président Reagan puis le propre père de l’actuel président ont soutenu à bout de bras de 1980 à 1988 dans sa guerre insensée contre l’Iran ?
Mais ce n’est pas tout : ayant, par subjectivité et mauvais calcul, écarté Saddam et sa clique du pouvoir, Bush a installé à leur place les alliés irakiens de l’Iran.
Ce faisant, il a donné aux dirigeants iraniens, qu’il dit vouloir affaiblir ou même éliminer, une influence et des moyens dont ils n’osaient rêver

C’est cette contradiction qui déroutait tous les observateurs. « Le discours sur l’état de l’Union » nous apprend que George W. Bush et ses conseillers ont fini par s’en apercevoir et comprendre qu’ils ont joué contre les intérêts affichés de leur pays. Ils ont bien vu, mais trop tard, que loin d’être des pompiers, ils étaient en réalité des pyromanes.
C’est, en tout cas, dans ce discours du 23 janvier qu’ils ont annoncé, à mots couverts, une nouvelle politique : elle est, hélas, encore plus erronée et plus dangereuse.

Dans ce discours, George W. Bush a déclaré, entre autres, ceci, dont il a dû peser chaque mot :
« L’ennemi de l’Amérique (qui s’est révélé le 11 septembre 2001, mais, en réalité, nous avait déclaré la guerre bien avant) est encore à l’uvre. Et, tant qu’il en sera ainsi, l’Amérique sera une nation en guerre.
Les cinq dernières années nous ont permis de mieux connaître la nature de cet ennemi : al-Qaïda et ceux qui suivent ses directives sont des extrémistes sunnites (sic). Mais ils ne constituent que l’un des deux camps de l’islamisme radical.
Plus récemment, il nous est apparu très clairement que les extrémistes chiites, tout aussi hostiles à l’Amérique et aussi déterminés à dominer le Moyen-Orient, constituaient pour nous un danger grandissant. Beaucoup d’entre eux reçoivent leurs directives du régime iranien, qui arme et finance les terroristes, notamment le Hezbollah. Comme al-Qaïda, cette organisation terroriste a tué beaucoup d’Américains.
Les extrémistes chiites et sunnites sont les deux faces de la même menace terroriste.
Le danger qu’elle représente n’a, hélas, pas diminué depuis cinq ans et, par conséquent, nous continuons à la combattre avec les mêmes moyens. []
Ce n’est pas cette guerre que nous avons commencée lorsque nous sommes entrés en Irak. Mais c’est dans cette guerre que nous nous trouvons aujourd’hui (re-sic). »
Tout est dit dans ces quelques phrases et, peut-être, comprenez-vous mieux pourquoi j’ai tenu à vous informer de ce nouveau développement, passé presque inaperçu.
George W. Bush dit, sans le dire, qu’il s’est trompé et qu’il se trouve embarqué dans une guerre qui n’est pas celle qu’il avait prévu de faire.

S’étant rendu compte qu’ils baignaient dans la contradiction et multipliaient les faux pas, George W. Bush et ses conseillers ont donc élaboré une « nouvelle doctrine » (inspirée une fois de plus par l’inénarrable Bernard Lewis), qu’on peut résumer comme suit sans la caricaturer : « En ce début de XXIe siècle, notre ennemi est, en vérité, l’islam, comme le communisme l’a été entre 1945 et 1990 (guerre froide). L’islam, c’est, en gros, 85 % de sunnites et 15 % de chiites : les uns et les autres ont leurs extrémistes qui nous haïssent particulièrement et nous ont déclaré la guerre. Nous les avons d’ailleurs qualifiés d’islamo-fascistes !
Les extrémistes chiites sont devenus même plus dangereux que les sunnites, car ils contrôlent, eux, un pays, l’Iran, et une organisation redoutable par son efficacité meurtrière, le Hezbollah, retranché lui aussi dans un pays, le Liban. Accessoirement, ils peuvent compter sur le Hamas en Palestine.
Nous les combattrons en Iran, en Irak et au Liban. »

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C’est sur la base de cette analyse, tout aussi fausse que celle qu’ils ont faite au lendemain du 11 septembre 2001, que George W. Bush et son équipe se sont lancés à corps perdus dans une nouvelle phase de leur guerre contre le terrorisme, jamais terminée et, pour tout dire, interminable.
Cette nouvelle phase a débuté en juillet dernier : les États-Unis et Israël ont alors saisi au vol une provocation du Hezbollah pour lui déclarer et lui livrer une guerre sans merci dans l’espoir de lui « régler son compte ».
Ils n’y sont pas parvenus et, au terme d’un mois de guerre infructueuse, ont dû arrêter les frais. Mais, n’en doutez pas, ils remettront cela à la première occasion.
Les mêmes États-Unis et Israël se sont tournés depuis peu contre celui qu’ils ont décidé d’ériger en ennemi suprême, le régime iranien. En ce moment même, tout l’indique, ils cherchent à lui régler son compte, à lui aussi, mais n’en ont pas encore trouvé le moyen sans déclencher un cataclysme régional, voire mondial.

Attendons-nous au pire de la part d’un Bush qui s’est autopiégé en Afghanistan et en Irak et auquel il ne reste plus que vingt-trois mois pour se sortir de la nasse.
L’homme qui ose dire qu’il a reçu sa mission directement de Dieu et qu’il poursuivra la guerre d’Irak même s’il n’est plus soutenu que par sa femme et son chien joue à quitte ou double et pratique la fuite en avant.
Cet homme est très dangereux.
Le Financial Times ne s’y est pas trompé qui a écrit le 24 janvier : « Donnez une chance à la guerre, tel a été le message du discours sur l’état de l’Union de George W. Bush. »

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La politique annoncée dans le discours du 23 janvier est, en tout cas, lourde de terribles conséquences, en particulier pour les pays musulmans. Les États-Unis de George W. Bush y favoriseront, chaque fois qu’ils le pourront, les guerres civiles entre « extrémistes » et « modérés », comme ils ont commencé à le faire en Palestine et en Somalie, après l’Afghanistan et l’Irak.
Ils entendent affaiblir et diviser les pays musulmans, considérés globalement comme le terreau du terrorisme, et n’y toléreront que les dirigeants très « modérés », ceux qui se courberont devant leurs exigences hégémoniques.
J’en suis, pour ma part, persuadé : les vingt-trois prochains mois, les derniers de l’ère Bush, sont chargés de menaces pour les pays d’Islam – et pour l’ensemble du monde.

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