Retour utopique à la terre

Publié le 4 février 2007 Lecture : 2 minutes.

Pressé par les pays européens de stopper le flux des émigrants qui s’embarquent pour les Canaries ou qui tentent de gagner les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla (Maroc), le Sénégal a mis au point un plan Reva, sigle qui a signifié « Retour des émigrés vers l’agriculture », avant de vouloir dire « Retour massif des populations vers l’agriculture ».
« Ce plan est cohérent avec notre loi d’orientation agro-sylvo-pastorale de 2004, qui prévoit cet accompagnement dans ses articles 54 et 55, tout comme avec la Stratégie de croissance accélérée », explique Mame Ndiobo Diène, directeur de l’analyse, de la prévision et des statistiques du ministère de l’Agriculture. La phase pilote s’étendra d’août à décembre 2008 et verra la mise en place de 550 « pôles d’émergence intégrée ».
Ces pôles se verront attribuer de 50 à 100 hectares. Ils se spécialiseront dans la production maraîchère à haute valeur ajoutée comme les haricots verts, les asperges, les melons ou les mangues, ou bien ils pratiqueront la culture de légumes africains (gombo, piment, mil, manioc.). Une autre variété de pôles sera dédiée à la production de fruits de mer de luxe, et une autre encore à l’élevage de poissons communs comme le tilapia. Enfin, des fermes agropastorales importeront des vaches laitières à haut rendement.
Le projet, qui coûtera 60 millions de dollars, prévoit la construction de routes et de pistes, l’électrification, les forages, l’irrigation, la fourniture de tracteurs et de 4×4, l’installation d’unités d’emballage et de réfrigération. « Ce sera ouvert à tous les volontaires, conclut Mame Ndiobo Diène. Nos jeunes pourront se dire : je n’ai pas besoin de partir pour Madrid ou Paris au risque de ma vie. »
Cette débauche de moyens au service d’un plan, qui ne choisit pas entre l’agriculture vivrière et l’agriculture d’exportation, ne semble pas prometteuse. « C’est n’importe quoi ! s’exclame Saliou Sarr, président de la fédération des producteurs de riz et membre du puissant Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR). Ce n’est pas d’un retour à la terre qu’a besoin le Sénégal, qui compte 60 % d’agriculteurs, mais d’un départ vers des secteurs préparés à l’avance pour les ruraux. Et, une fois de plus, il s’agit de produits d’exportation dont les débouchés n’ont pas été étudiés ! »
On comprend qu’il enrage de voir les moyens extraordinaires dont disposeront les pôles : terres en abondance, semences, engrais, puits, engins motorisés, etc. En toute gratuité. Il rappelle que 85 % des agriculteurs sénégalais sont des petits exploitants qui disposent de moins de 4 hectares et qui accèdent difficilement aux crédits, aux semences et aux engrais. Où est l’équité dans ce plan à usage médiatique et externe ?
« Ces pôles nous rappellent les kolkhozes de l’ère soviétique, ironise-t-il. Chez nous, on n’attend pas que l’État donne quoi que ce soit. On emprunte, on sème, on commercialise et on rembourse. Reva est encore un de ces projets mal étudiés sortis tout droit des calculs de la politique politicienne. Ce n’est pas une réponse sérieuse aux graves problèmes que vit le paysan sénégalais. »

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