Voix dissonantes

Publié le 3 décembre 2006 Lecture : 3 minutes.

« A lui seul, cet homme a plus fait en vingt-cinq ans pour faire reculer la pauvreté que l’immense et pesante Banque mondiale en plus d’un demi-siècle C’est un champion de la lutte contre la pauvreté qui ne croit pas à la charité, un partisan de la libre entreprise qui déclare que la recherche du profit doit s’accompagner d’objectifs sociaux. »
Ainsi a été présenté Muhammad Yunus lorsque, en octobre dernier, lui a été décerné le prix Nobel de la paix 2006.
La description est, à mon avis, juste.

Muhammad Yunus a été distingué par le Comité du Nobel pour avoir fondé, en 1983, dans son pays, le Bangladesh, l’un des plus démunis de la planète, la Grameen Bank*.
Et lui avoir donné pour mission de consentir de petits crédits aux pauvres, sans formalités excessives à remplir ni garanties difficiles à rassembler.
Inventé par Muhammad Yunus il y a donc près d’un quart de siècle, le microcrédit s’est lentement propagé dans le monde : même si c’est loin d’être suffisant, des dizaines de millions de pauvres de plus de cent pays en bénéficient aujourd’hui, et l’on sait gré à son concepteur de cette belle contribution à la lutte contre la pauvreté.

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Il ne se repose pas pour autant sur ses lauriers. Depuis un mois et demi, il parcourt le monde pour « enfoncer le clou », faire avancer ses idées.
En voici trois, lumineuses :
1. La mondialisation. « Elle n’apporte rien aux pauvres C’est comme une autoroute à vingt voies qui sillonne le monde. Mais le problème est que les gros camions américains occupent toutes ces voies. Il ne reste plus rien pour les pousse-pousse du Bangladesh et des autres pays pauvres
Pourquoi la circulation n’est-elle pas réglementée ? Telle voie est réservée aux pousse-pousse, telle voie aux poids lourds Aujourd’hui, les poids lourds occupent tout le terrain. Il faut des règles, un code de la route et des agents de la circulation. Dans la mondialisation, il n’y a ni règles ni agents de la circulation. C’est une situation anarchique. Et, pour cette raison, les pauvres ont peur. »
2. Les capitaux circulent librement, pourquoi pas les hommes ? « Que les êtres humains puissent franchir les frontières aussi librement que les capitaux ne signifie pas que tout le monde s’y présenterait dès le premier jour. Nous n’ouvrirons les frontières que prudemment et progressivement
Certains désespérés essaieront de toute façon de traverser la rivière à la nage. Mais l’envie de se jeter à l’eau (ou de prendre ce risque) sera moins forte dès lors qu’on aura une vraie chance de passer
Si tous les pays acceptent d’ouvrir, ou seulement d’entrouvrir, leurs frontières, il y aura pour chaque émigrant un grand nombre d’options. La pression sur chaque pays pris individuellement ne sera pas énorme. »
3. Le prix Nobel de la paix. « Son attribution à la Grameen Bank a eu pour conséquence d’attirer l’attention sur le lien qui existe entre la pauvreté et la paix.
C’est tout le sens du Nobel décerné à une institution qui travaille pour les pauvres. Cette relation n’avait jamais été clairement comprise et affirmée.
Le Nobel l’a confirmé aux yeux du monde : la pauvreté est une menace pour la paix. »

Mais Muhammad Yunus n’est, fort heureusement, pas seul à mener le bon combat. De cette Asie qui donne trop souvent l’impression de ne jurer que par le « business » parce que les ex-communistes y ont subitement découvert l’attrait de l’argent, une autre voix s’élève pour un rappel à l’ordre du meilleur aloi.
Sonia Gandhi, présidente du Parti du Congrès (et de la coalition qui gouverne l’Union indienne), a éprouvé le besoin de délivrer le message suivant à son gouvernement, pour lui demander publiquement de corriger le tir :
« Cessons d’être obsédés par le désir d’acquérir, pour l’Inde, le statut de grande puissance. La complaisance envers nous-mêmes et l’autocongratulation sont dangereuses, et même néfastes : rejetons ces poisons et délices du pouvoir. []
Le statut de l’Inde dans le monde sera déterminé par notre capacité à redistribuer équitablement les fruits de la croissance économique à notre peuple.
Celui de grande puissance mène, lui, au désir d’hégémonie, à la course aux armements et, finalement, aux conflits armés et à l’agression.
L’Inde n’a pas recherché cela dans le passé et, selon moi, ce n’est pas ce qu’il faut lui souhaiter dans l’avenir. »

Si notre pauvre monde avait, parmi ses dirigeants, plus de Muhammad Yunus, de Sonia Gandhi (et de Nelson Mandela), si leurs voix étaient mieux entendues, il ne donnerait pas de lui les images que vous et moi voyons chaque soir sur nos écrans de télévision. n

*Quatre-vingt-dix pour cent de la banque sont aujourd’hui propriété de ses clients, les 10 % restants sont entre les mains du gouvernement.

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