Villepin dans le collimateur

Il est établi que le feuilleton né en 2004 était une pure manipulation. Mais quel rôle y a joué le Premier ministre français ?

Publié le 3 décembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Les juges acculeront-ils, au début de 2007, Dominique de Villepin à la démission ? La fin de l’ère Chirac est pénible, si pénible que le Français lambda regretterait presque le temps où les « affaires » chiraquiennes avaient du corps : marchés truqués, emplois fictifs, HLM réservées aux amis, frais de bouche de l’Hôtel de Ville Le temps où les « balances » avaient des choses à dire, tel Jean-Claude Méry enregistrant la vidéo de ses aveux sur le financement occulte de la bande à Chirac. L’époque où le président jouait au mot le plus long – « abracadabrantesque » ou au mot le plus court – « pschitt » – pour se défendre.
Le dernier avatar du crépuscule élyséen, « Clearstream », n’a d’« affaire » que le nom, car il est établi que le feuilleton né en 2004 était une pure manipulation, comparable – dans un autre domaine – à l’affaire Markovic. En 1969, des photomontages d’une facture grossière montraient la première dame de France, Claude Pompidou, au milieu de parties fines Déjà, la tête de l’exécutif (De Gaulle) savait et n’avait pas jugé bon d’en avertir son subordonné (Pompidou), pourtant au cur du scandale. Mais cela n’enlève rien à la gravité de « Clearstream ».
Deux manipulateurs mythomanes – Jean-Louis Gergorin (numéro deux du groupe EADS, spécialisé dans la défense) et Imad Lahoud (un informaticien qui assurait pouvoir pirater le réseau de financement d’al-Qaïda) – prétendent détenir les comptes d’une mystérieuse entreprise financière luxembourgeoise, Clearstream. Colonne de gauche : des personnalités – dont Nicolas Sarkozy. Colonne de droite : des millions de dollars. Ces sommes seraient les commissions occultes de la vente de frégates à Taiwan. En fait, ces listes sont des faux fabriqués par Imad Lahoud (son avocat vient de demander l’annulation de la procédure, au titre de la violation du secret de l’instruction). En janvier 2004, Gergorin confie les listings à son ami Villepin, ministre des Affaires étrangères. Lequel, obnubilé par la présence de son ennemi Sarkozy sur une des listes, fait tout pour que le scandale éclate au grand jour. Réjoui de voir Gergorin envoyer anonymement les faux au juge Van Ruymbeke dès avril 2004 (voire l’y encourageant) et l’hebdomadaire Le Point se faire l’écho de l’affaire en juillet. Entourant de tous ses soins les auteurs de la calomnie : intervention pour faire libérer, fin mars 2004, Lahoud, en garde à vue pour une autre affaire, et remise de l’Ordre national du mérite à Gergorin en avril. Confiant l’enquête à l’ancien agent secret Philippe Rondot sans en rendre compte ni à son Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, ni au ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, dont Rondot dépend pourtant. Mais surtout, alors que Rondot lui fait part de ses doutes croissants sur le sérieux des listings, Villepin refuse d’enterrer l’affaire qui lui offre la tête de Sarkozy
Même s’il est la victime objective de la manipulation (sans être la seule, les noms de Strauss-Kahn et de Chevènement apparaissant aussi sur le listing), Sarkozy fait tout pour que la baudruche ne se dégonfle pas. Manifestement, il en a été informé très tôt. Mais, sûr de son innocence, il feint de ne rien savoir pour se donner une posture de martyr, ne se constituant partie civile que tardivement, début 2006 au moment où l’affaire avait besoin d’être relancée. Peu importe que Sarkozy ait ou non rencontré Lahoud, comme Rondot l’écrit dans une note le 9 septembre 2004. Sarkozy savait que Rondot enquêtait.
À quatre mois de l’élection présidentielle, « Clearstream » se résume désormais à une question : les deux juges qui instruisent l’affaire vont-ils mettre Villepin en examen rapidement, l’obligeant à démissionner, ruinant ainsi ses ambitions présidentielles ? Au vu de la détermination dont Jean-Marie d’Huy et Henri Pons ont fait preuve, l’hypothèse est crédible. Mais si Villepin explose, il pourrait entraîner dans son sillage d’autres têtes, dont celle du chef de l’État. La dénonciation calomnieuse et le recel de faux sont des délits graves et, dans la mesure où ils ne se seraient pas produits dans le cadre de la fonction ministérielle, mènent directement à la case tribunal Villepin n’a-t-il pas confié à Philippe Rondot le 19 juillet 2004 : « Si nous apparaissons, le PR [président de la République] et moi, nous sautons » ? Même si le verbe du Premier ministre est souvent exalté, ce genre de confidence trahit la possible implication du président lui-même. Au vu des liens qui unissent Chirac à Villepin, on a du mal à penser que l’un ait pu être au courant sans en avertir l’autre.
Autour de cette affaire, Chirac a d’ailleurs déjà essuyé un dommage collatéral. Un document saisi chez Rondot faisait état d’un compte détenu par le président au Japon, riche de 300 millions de francs (45 millions d’euros). L’information a été démentie par l’Élysée, avant que son existence ne soit confirmée par Le Canard enchaîné.
Mais le grand perdant de l’affaire est à chercher du côté de la justice. Une fois de plus, le système judiciaire français a montré ses limites, révélant au grand jour la guerre entre les juges d’instruction et le parquet. Les juges roulent-ils pour Sarkozy ? Pas sûr. Mais le parquet – avec à sa tête le procureur Jean-Claude Marin – a, quant à lui, agi dans l’intérêt exclusif du sommet de l’État en tentant d’éviter à Villepin la mise en examen. Historiquement, le rôle du parquet est de veiller à l’intérêt public – c’est-à-dire de veiller à ce que la justice (les juges d’instruction) agisse sans bafouer l’égalité des citoyens devant la loi. Problème : les responsables du parquet sont nommés par le pouvoir en place et, dans les affaires politiques, ils veillent surtout à ne pas oublier ceux qui les ont faits rois ! Lorsque Élisabeth Guigou était ministre de la Justice, il a été question de mettre fin à la spécificité française du parquet. En vain Si Ségolène Royal était élue, et l’énergique Arnaud Montebourg nommé garde des Sceaux, la réforme pourrait redevenir d’actualité.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires