« Notre équipe n’a rien prouvé jusque-là »

Artisan de la qualification des Éléphants au Mondial 2006, Jacques Anouma donne sa vision du football africain.

Publié le 3 décembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Pour les Ivoiriens, il est d’abord l’artisan de la qualification à la Coupe du monde 2006. Mais depuis son accession à la présidence de la Fédération ivoirienne de football (FIF) en 2002, Jacques Anouma s’est aussi affirmé comme un gestionnaire ambitieux et avisé. Et, à 55 ans, l’homme est définitivement devenu une figure du ballon rond ivoirien. Rien, pourtant, ne prédisposait cet enfant de Memni, un petit village du pays akyé, à jouer un tel rôle au pays des Éléphants. Ce n’est qu’après avoir occupé, bien loin des pelouses, le poste de directeur administratif et financier d’Air France-Côte d’Ivoire, qu’il fait ses premières armes dans le milieu, en intégrant le comité directeur de l’Asec Mimosas, en 1983. Aujourd’hui président de la FIF et responsable du service financier de la présidence de la République, il a été élu par l’assemblée générale de la Confédération africaine de football (CAF) au comité exécutif de la Fédération internationale de football Association (Fifa). Il revient sur cette élection et répond à ses détracteurs.

Jeune Afrique : Vous présidez la FIF et vous êtes chef du service financier à la présidence de la République. Les deux fonctions ne sont-elles pas incompatibles ?
Jacques Anouma : Absolument pas. En Afrique, les fédérations qui fonctionnent le mieux sont celles dont les présidents sont en relation directe avec le pouvoir. L’État finançant les compétitions des clubs et les activités de l’équipe nationale, si vous n’avez pas la clé pour pénétrer dans ses rouages, vous rencontrez beaucoup plus de difficultés. Tant que les associations nationales ne seront pas complètement autonomes, elles auront besoin d’entretenir de bonnes relations avec le pouvoir en place.
Certains affirment que votre avenir à la FIF dépend de l’évolution de la situation politique…
Ils se trompent. Depuis 2002, et particulièrement à l’occasion des éliminatoires du Mondial 2006, tous les partis politiques ivoiriens, toute la société civile, toutes les Églises ont adhéré à mon action. C’est ce soutien unanime qui a permis la qualification des Éléphants pour la Coupe du monde. Je tiens à rassurer tous ceux qui s’inquiètent pour moi : la Côte d’Ivoire tout entière, quelles que soient les fonctions que j’occuperai plus tard, m’est reconnaissante.
Vous avez été élu membre du comité exécutif de la Fifa par l’assemblée générale de la CAF. N’était-il pas plus indiqué de postuler d’abord au comité exécutif de la CAF ?
Le choix était délibéré et la démarche logique. À regarder de près la configuration actuelle du comité exécutif de la CAF, on pouvait se permettre de sauter une étape. Les présidents des fédérations qui m’ont accordé leurs suffrages ont par ailleurs voulu donner un signal : montrer à l’establishment de la CAF qu’ils pouvaient élire un des leurs à la Fifa, en s’affranchissant des recommandations du sérail… Je redis donc merci à tous mes pairs et leur promets de mettre à profit ma présence à la Fifa pour servir l’Afrique.
Quels intérêts allez-vous y défendre ?
Pour ceux qui me connaissent, ils savent que je n’ai pas besoin de la rente de la Fifa pour vivre. Je mettrai donc mon poste au service de mes frères du continent. Dans cette perspective, je compte sur l’appui de mon pays pour mener à bien des actions en faveur du développement sportif. J’observerai de près le fonctionnement des instances de la Fifa, puis rendrai régulièrement visite à mes pairs afin d’élaborer avec eux un projet de développement en faveur des pays qui en ont le plus besoin.
Vous êtes membre élu du comité exécutif de la Fifa, mais absent de toutes les commissions permanentes de la CAF. Pourquoi ?
Je n’ai pas d’explication à cette mise à l’écart et en laisse la responsabilité à ceux qui l’ont provoquée. Je la comprends d’autant moins que, bien que n’ayant pas encore siégé au sein de son comité exécutif, la Fifa m’avait, en juin dernier, invité à la Coupe du monde. Je suis donc surpris que ma propre confédération ne fasse pas cas de mon élection, qu’elle m’ignore dans ses commissions et ne m’invite pas, ne serait-ce qu’en observateur, aux séances de son comité exécutif. L’épisode qui a suivi la démission du Botswanais Ismaël Bhamjee* de son poste à la Fifa est, à ce titre, révélateur. L’organisation souhaitait qu’un membre africain élu le remplace immédiatement, sans attendre le congrès de mai 2007. Elle a donc chargé la CAF de désigner son successeur, et c’est mon collègue du Nigeria, le docteur Amos Adamu, lui aussi élu au Caire en janvier dernier, qui a été choisi. Il le mérite assurément, puisqu’il m’avait devancé dans les urnes. Le problème est que je n’ai jamais été informé qu’un tel processus était en cours et que j’ai appris la nomination d’Adamu par la presse. Je pense que la courtoisie la plus élémentaire aurait été de m’en informer, ne serait-ce que par courrier ou par un simple coup de fil. Cette façon de faire me donne vraiment l’impression que je dérange. Je le rappelle pourtant : qu’on le veuille ou non, je détiens aujourd’hui un mandat à la Fifa où je siégerai, quoi qu’il arrive.
Le bilan africain de la dernière Coupe du monde n’est pas fameux. Comment l’expliquez-vous ?
Par l’inexpérience de nos joueurs. À l’exception de certains Ivoiriens qui évoluent au plus haut niveau, la majorité des joueurs africains qui étaient présents en Allemagne sont abonnés aux divisions européennes de second rang ou à nos championnats nationaux. Il est donc difficile pour nous de rivaliser avec l’Italie, la France, l’Allemagne ou le Brésil.
L’Afrique possède de bons joueurs, mais pas encore de grandes équipes. Il faut être patient. J’ai dû tempérer l’enthousiasme de mes compatriotes qui affirmaient que la Côte d’Ivoire était la meilleure équipe d’Afrique. Elle ne l’est pas encore. Elle n’a rien prouvé jusque-là. Les qualifications pour la Coupe du monde 2010 réserveront des surprises.
Réussira-t-on un jour à arrêter l’exil des meilleurs joueurs ?
C’est une utopie. On peut limiter les départs prématurés des jeunes, mais on ne pourra jamais empêcher les meilleurs de s’expatrier.

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* Membre du comité exécutif de la Fifa depuis 1998, Ismaël Bhamjee a dû abandonner ses fonctions. Il a reconnu avoir revendu illégalement des billets pour certaines rencontres du Mondial 2006.

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