Mohammed Arkoun

Islamologue, historien et philosophe franco-algérien

Publié le 3 décembre 2006 Lecture : 3 minutes.

« Il a l’air d’un grand Monsieur ! » me chuchote-t-on à l’accueil. Mohammed Arkoun en impose, en effet. Tant au plan physique qu’intellectuel. Belle allure, crinière blanche de sage, prestance de savant. Ses propos séduisent d’emblée notre salle de rédaction, où cet homme de 78 ans reprend d’instinct la pose du professeur à la Sorbonne (1961-1993), dont le célèbre talent d’orateur marqua des générations d’étudiants et des dizaines de thésards qui ne jurent aujourd’hui que par lui.
Devant les journalistes de J.A., Arkoun brosse un tableau alarmant de la pensée islamique actuelle, trop souvent dominée par des sermons redondants et des dérives militantes. La multiplication des fatwas, affirme-t-il, semble tenir lieu de recherche théologique. Dès qu’il s’agit d’islam, la pensée occidentale se referme aussi sur elle-même, se cantonnant au conjoncturel ou au reportage sur les mouvements islamistes. On ne remonte guère au-delà du 11 Septembre pour suivre la genèse historique et idéologique de ces « guerres justes » légitimées par des intellectuels notoires et pas seulement par les bigots des deux camps.

De fait, toute la carrière et le combat de ce penseur franco-algérien né en 1928 en Kabylie s’inscrivent dans cette fonction de « médiateur culturel » entre les sociétés méditerranéennes. À la Sorbonne, son enseignement consiste en une relecture de l’histoire qui oppose, depuis 632, l’islam comme force conquérante à la chrétienté de Byzance, puis à l’Europe moderne, relayée désormais par les États-Unis. Cette relecture de l’histoire, Arkoun entend la faire à l’aide d’une nouvelle discipline, l’islamologie appliquée, laquelle part de l’autocritique radicale de la pensée islamique afin de substituer une connaissance scientifique des doctrines aux idéologies de combat.
Ce travail d’historien et de critique se trouve illustré dans de nombreux écrits comme Lectures du Coran (1982), Pour une critique de la raison islamique (1984), Islam : to Reform or to Subvert ? (2005), Humanisme et islam (2005), ou, Histoire de l’islam et des musulmans en France depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours (2006), un ouvrage volumineux édité sous sa direction chez Albin Michel.
Ce faisant, Arkoun tenta en vain de convaincre les gouvernements français successifs de créer une École nationale d’études islamiques à vocation laïque et scientifique. L’idée, présentée lors de l’affaire Rushdie et des premières polémiques autour du voile, fut rejetée à deux reprises par Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation puis Premier ministre. « Cet espace d’expression intellectuelle et civique aurait pu donner à réfléchir à tous les Français confrontés aux violences des banlieues et au terrorisme lié systématiquement à ce qu’on nomme l’islamisme. Comme il aurait pu faire comprendre aux musulmans les enjeux des caricatures ou du discours du pape, afin qu’ils ne réagissent pas en descendant dans la rue pour pousser de hauts cris, mais en s’obligeant à s’engager dans des controverses scientifiquement fondées. »

la suite après cette publicité

Si la France n’a pas su tirer profit des conseils éclairés de l’universitaire, l’Algérie n’a pas davantage reconnu la valeur de ce fils dont les travaux sont pourtant mondialement reconnus. Sans parler des intégristes et conservateurs de tous bords qui le traitent de « désislamisé » Aujourd’hui, retraité et libre de ses mouvements, Arkoun sillonne le monde, invité par les universités de Lahore, de New York ou de Rome, partout où s’impose cette lecture « arkounienne » d’un islam éclairé, qui doit de toute urgence trouver des relais. De retour à Paris pour quelques affaires courantes, il repart se ressourcer au Maroc, pays de sa seconde compagne.
Devant la rédaction de J.A., Arkoun conclut : « Aujourd’hui, les médias sont obsédés par l’actualité. C’est à un journal comme le vôtre qu’il appartient d’ancrer l’information dans le contexte, de soutenir les articles par des éclairages historiques, de clarifier le passé pour construire le futur. » Et, après un silence : « Je vous y aiderai, si vous le souhaitez. » Et si on prenait notre invité au mot ? Arkoun, chroniqueur à J.A. ? B.B.Y. a dit oui !

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires