L’il du Maroc

En cinquante ans, Mohamed Maradji a été le témoin privilégié de la vie du royaume comme des grands événements continentaux.

Publié le 3 décembre 2006 Lecture : 4 minutes.

« Un mythe vivant ? » Assurément, écrit l’hebdomadaire casablancais La Vérité à propos de Mohamed Maradji. Le doyen des photographes marocains fête en effet cette année ses cinquante ans de reporter-photographe. Le royaume lui est reconnaissant. Le 21 août dernier, Mohammed VI l’a élevé au grade de commandeur du Wissam al-Arch, l’une des plus prestigieuses distinctions attribuées par le trône alaouite. Depuis, la presse a pris le relais. « Maradji aura été notre il imparable sur nous-mêmes et sur les autres », commente le chroniqueur Abdellatif Mansour, qui relève que « tout, absolument tout distingue cet homme assurément très distingué ». Al Ittihad Al-Ichtiraki, le quotidien socialiste, salue le « photographe de l’Histoire », tandis que TelQuel, l’hebdomadaire préféré de la jeunesse urbaine, choisit des mots simples mais touchants : « T’inquiète pas, Si Mohamed, tout le monde t’aime. »
À quoi tient cette belle unanimité ? « À mon avis, les Marocains sont très sensibles à son côté enfant du peuple et à son parcours de self-made man », affirme un des confrères de Maradji. Ce dernier a vu le jour en 1939 à Casablanca dans un milieu modeste. Son père décédé, il doit travailler à l’âge de 16 ans pour aider sa mère, couturière, à subvenir aux besoins de la famille. Il s’initie à la photographie auprès d’un professionnel israélite de la place avant de devenir un « filmeur » ambulant dans les rues du centre de Casablanca. « C’était avec un petit appareil pour des photos à 1 dirham, dit-il. J’ai commencé à reconnaître la physionomie des gens, je pouvais les prendre à l’improviste. »
On est en 1955. Le pays est secoué par une agitation nationaliste qui va bientôt balayer le protectorat français instauré en 1912. « Ma carrière a quasiment débuté avec l’indépendance de mon pays », aime rappeler, avec un brin de fierté, Mohamed Maradji. C’est en effet le retour du sultan Sidi Mohammed Ben Youssef (futur Mohammed V), en novembre 1956, de son exil forcé à Madagascar qui ouvrira les portes de la gloire au jeune photographe. Suivant, à sa propre initiative, les déplacements du souverain dans les différentes provinces du pays, Maradji collectionne les clichés (en noir et blanc) dans ce Maroc indépendant où tous les rêves sont encore permis. Ses photos sont reprises par les différents titres de la presse nationale.
Est-il pour autant satisfait de ses performances ? Non. En 1959, il débarque à Paris pour effectuer un stage de perfectionnement de quelques mois dans la célèbre agence Keystone. De retour au royaume, il accompagne Mohammed V dans une omra (petit pèlerinage) à La Mecque. Le voyage sera marqué par un incident qui renforcera l’affection que le photographe voue au monarque. Maradji se plaît à le raconter : « À la veille de notre retour, le protocole royal avait distribué des enveloppes aux membres de la délégation du roi. J’en ai profité pour acheter une machine à coudre pour ma mère. » Le décollage de l’avion royal s’en trouvera retardé : « Le pilote refusait que je monte à bord avec la machine. » Informé, le souverain tranche. « Laissez-le embarquer », ordonne-t-il, avant de louer en des termes chaleureux la piété filiale du jeune photographe.
Quelques mois plus tard, Mohammed V décède à l’issue d’une intervention chirurgicale jugée pourtant banale. Effondré, Maradji assiste aux obsèques. Il immortalise la douleur de ses compatriotes. « Un homme pleure son roi », l’une de ses photos, sera primée, un an plus tard, à l’exposition internationale de Moscou. Auparavant, une autre tragédie nationale avait permis au photographe de se faire connaître à l’étranger : le séisme qui, le 29 février 1960, avait rasé la ville d’Agadir, tuant entre 12 000 et 15 000 personnes.
« Cette année sera aussi celle de la découverte de l’Afrique noire », se souvient-il. L’occasion ? L’envoi de soldats marocains dans le cadre de la mission de l’ONU au Congo. Depuis, il ne rate pratiquement aucun événement continental. Outre les congrès préparatifs de la naissance de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, ancêtre de l’actuelle Union africaine), Maradji couvre l’actualité brûlante du voisin algérien : activités du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), évacuation des troupes françaises On lui doit surtout la photo du premier cabinet d’Ahmed Ben Bella.
De retour à Casablanca, le photographe lance la première agence de presse photos au Maroc. Jeune Afrique est l’un de ses premiers clients. Maradji est désormais incontournable. Ses images de la Marche verte (lancée par feu Hassan II en 1975 contre la présence espagnole au Sahara occidental) ou de la guerre israélo-arabe d’octobre 1973, où il était allé sur les traces des contingents marocains envoyés en renfort sur les fronts égyptien et syrien, consolident sa notoriété.
Intrépide, le photographe n’hésite pas à accompagner le président Anouar al-Sadate en 1977 à Jérusalem. Perçu comme une trahison de la cause palestinienne, le voyage provoque l’ire du monde arabe. « Pour un photographe professionnel comme moi, c’était un événement à ne pas rater », explique-t-il aujourd’hui, balayant d’un revers de main les réserves de ses confrères marocains et arabes, hostiles, à l’époque, à tout contact avec l’État hébreu. « Vous savez, la politique proprement dite, je la laisse volontiers aux politiciens », dit ce père de quatre enfants qui a toujours su garder de bons rapports avec tous les protagonistes de la scène politique du royaume.
De Hassan II à Mehdi Ben Barka en passant par Allal el-Fassi ou Abderrahim Bouabid, Maradji a fixé sur la pellicule tous ceux qui ont compté et comptent dans le Maroc indépendant. « Il est notre mémoire photographique », dit-on à Rabat. Maradji, lui, ne prétend pas être le pionnier des photographes marocains. « Avant moi, il y avait notamment Hammadi al-Aoufir du journal Al Alam, et Allal Dfouf, auteur de la photo de Mohammed V prononçant le discours de Tanger en 1947. » Mais ni l’un ni l’autre n’ont eu la notoriété de Maradji. Ni sa longévité. « Je suis fier, conclut-il, d’avoir photographié trois rois de mon pays, cinq présidents français et sept autres des États-Unis. »

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