À l’égyptienne, à la britannique et à la française

Publié le 3 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Ce sont trois films sur des sujets à la fois sociétaux, politiques et historiques, qui tous trois ont été couverts de récompenses au niveau international. Le Vent se lève, du Britannique Ken Loach, Palme d’or du Festival de Cannes 2006, Flandres, du Français Bruno Dumont, primé lors de la même manifestation (Grand Prix du jury) et L’Immeuble Yacoubian, de l’Égyptien Marwan Hamed, Grand Prix de la biennale des cinémas arabes en juillet dernier, qui viennent de sortir presque simultanément à Paris, illustrant chacun à leur manière, très différente et très réussie, comment le cinéma peut aider des nations et des hommes à s’interroger sur leur parcours.
Le premier, le plus classique au niveau de la forme, est bien dans la manière du Ken Loach militant, celui qui avait réalisé le superbe Land and Freedom sur la guerre d’Espagne il y a une dizaine d’années. Cette fois, il s’attaque – c’est le mot – à la répression féroce du nationalisme irlandais par l’armée britannique dans les années 1920. Mais, loin d’aborder le sujet frontalement, il le traite à travers le destin de deux frères qui, au moment où Londres accorde enfin l’autonomie à l’île, vont se retrouver dans deux camps ennemis, l’un rejoignant l’IRA qui veut poursuivre jusqu’au bout la lutte armée, l’autre acceptant une formule de compromis. La guerre civile qui s’ensuit sera donc aussi une guerre familiale, opposant deux idéaux et deux visions de la politique mais aussi de la vie en société dans l’Irlande profonde. Au-delà, il est impossible de voir ce film sans penser à ses résonances actuelles, à l’engagement britannique en Irak, dont le réalisateur est l’un des plus virulents critiques.
Avec Flandres, on retrouve un autre portrait d’une société rurale, celle du nord de la France où Bruno Dumont filme, avec son style bressonien sans apprêt, la vie rude, bestiale presque, de jeunes en mal de projets d’existence quelque peu exaltants. Mais, bientôt, son principal « héros » – il s’agit bien sûr d’un antihéros – va quitter les immenses et mornes étendues de champs de betteraves pour aller faire la guerre dans un pays mal identifié à une époque non précisée. S’agit-il de la guerre d’Algérie il y a un demi-siècle ? De l’invasion récente de l’Afghanistan ? Du conflit irakien d’aujourd’hui ? Toujours est-il qu’on assiste à une guerre sale, avec des scènes de mutilations de soldats ou d’un viol par des troufions tout à fait insupportables. Les combattants ne sont jamais magnifiés, ils n’apparaissent que comme des acteurs de scènes barbares. Mais cette barbarie renvoie, toutes proportions gardées, à ce qu’on voit avant et après le long épisode militaire, dans ces Flandres où il est si difficile pour les jeunes de trouver des conditions de vie dignes et acceptables. Le film nous parle donc aussi d’un monde occidental où dominent les pulsions, la jouissance mortifère, un monde sans espoir, sans vision engageante de l’avenir.
En racontant dans L’Immeuble Yacoubian la vie des gens de toutes conditions qui occupent une belle habitation du centre du Caire, le premier film du jeune réalisateur Marwan Hamed, déjà présenté dans ces colonnes (voir J.A. n° 2381), va lui aussi très au-delà de son thème apparent, qui pourrait n’être qu’un simple sujet « de société ». Il dresse, à travers une superbe galerie de personnages tous attachants grâce à des acteurs remarquables, un véritable portrait de l’Égypte contemporaine, avec ses peurs et ses espoirs, ses tolérances et ses intolérances, ses contradictions et ses mutations. Même si les images sont moins fortes que celles de Loach, moins troublantes que celles de Dumont, elles réussissent là aussi, tout en nous divertissant, à nous faire méditer sur la condition humaine. Cela s’appelle du cinéma de qualité. Qu’il soit à l’égyptienne, à la britannique, à la française, ce n’est pas si courant.

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