Six mois pour réussir

Publié le 3 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Convoqués à Pretoria par Thabo Mbeki, le médiateur de l’Union africaine, les cinq
protagonistes de la crise ivoirienne ont donc, mercredi 29 juin, réaffirmé et précisé l’accord qu’ils avaientconclu et signé le 6 avril dans la même ville et dont la mise en uvre laissait à désirer.
Plus loin dans ce numéro de Jeune Afrique/l’intelligent (pages 38-40), Élise Colette se livre à une évaluation prudente des effets de cette péripétie sur la crise. Tandis que Laurent Gbagbo, en réponse aux questions de notre collaborateur Cheikh Yérim Seck, donne sa lecture de la situation dans laquelle lui-même et les autres acteurs de la tragédie ivoirienne ont mis leur pays (pages 18-24).
Au lendemain de ce Pretoria II, qui s’est conclu par une « déclaration sur la mise en oeuvre de l’accord de Pretoria »* signée par tous les intéressés, peut-on affirmer que la Côte d’Ivoire s’achemine vers une sortie de crise et que la lumière pointe au bout du tunnel ?

Aucun observateur sérieux ne va jusque-là. Mais beaucoup, dont je suis, relèvent des facteurs nouveaux – et positifs – qui autorisent l’espoir.
Le premier d’entre eux vient de la personnalité – et de la méthode – du président de l’Afrique du Sud (et médiateur de l’Union africaine) : il se révèle déterminé à assurer le « service après-vente » de sa médiation, à veiller à l’exécution des décisions prises.
Il entend mener à son terme l’entreprise dont il a été chargé et ne laisser aucune échappatoire aux acteurs ivoiriens de la crise.
Ni Jacques Chirac après Marcoussis, ni John Kufuor, président de la Cedeao, après Accra I, II et III, n’avaient fait preuve d’une telle détermination. On peut même leur reprocher un manque de suivi surprenant : ils ont, en somme, laissé courir.
Signe qui ne trompe pas : les quatre réunions mentionnées ci-dessus se sont étalées sur près de deux années, et un intervalle de plusieurs mois a séparé chacune d’elles de la suivante. Comment maintenir le momentum dans ces conditions ?
Thabo Mbeki, lui, se comporte différemment :
– Il a exigé de tous les protagonistes, dont certains étaient on ne peut plus réticents, qu’ils se rendent à Pretoria fin juin (moins de trois mois après la signature de l’accord) pour faire le point avec lui et pour « serrer les boulons » ;
– Il a fait montre d’habileté et de fermeté pour obtenir du Premier ministre ivoirien, Seydou Diarra, qu’il retire sa démission – et reste à bord jusqu’à l’élection présidentielle : afin d’obtenir ce résultat, le président de l’Afrique du Sud s’est déplacé de Pretoria à Johannesburg pour rendre visite au Premier ministre ivoirien dans son hôtel ;
– Il va envoyer en Côte d’Ivoire, dans les tout prochains jours, son ministre de la Défense pour qu’il puisse superviser en personne les volets « désarmement et démantèlement des milices », « désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) des forces combattantes » (points 2 et 3 de la déclaration, les plus difficiles à mettre en oeuvre) ;
– Il a demandé à ses interlocuteurs ivoiriens de se préparer à une nouvelle réunion avec lui fin août (ou début septembre) pour passer en revue ce qui aura été accompli en deux mois et pour évaluer ce qui restera à faire afin d’entrer dans la dernière ligne droite, celle qui mène à l’élection présidentielle ;
– Il se tient informé de tout ce qui se passe en Côte d’Ivoire, de ce que font ou ne font pas les signataires de l’accord.
Et en parle régulièrement, aussi bien avec l’Union africaine qu’avec l’ONU.

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On sait aussi qu’il manie avec doigté l’arme des sanctions prévues par les Nations unies (résolution 1572 du 15 novembre 2004), et a fait savoir qu’il n’hésiterait pas à recommander « d’imposer des sanctions appropriées à toute partie qui manquerait à mettre en oeuvre l’accord de Pretoria et bloquerait ainsi le processus de paix ».
C’est, à ses yeux, l’arme décisive : il l’agite de temps à autre et compte sur la menace grave qu’elle représente pour dissuader qui que ce soit de se mettre en travers du processus de paix, ou même d’user de manoeuvres dilatoires pour l’empêcher d’aboutir dans les délais prévus.
C’est ainsi que, pour maintenir la pression, il a refusé – formellement – qu’on renonce d’ores et déjà à la date du 30 octobre pour l’élection présidentielle.
Il sait, comme tout un chacun, que cette date ne pourra être respectée, mais il se réserve la possibilité de le constater lors de la prochaine réunion de mise en oeuvre du processus. Et, alors seulement, de convenir avec les protagonistes d’une nouvelle date, de préférence en décembre 2005 ou, au plus tard, en janvier 2006.

Alors, la Côte d’Ivoire s’achemine-t-elle vers une sortie de crise ? Ce n’est pas impossible.
Mais ce qui paraît certain, c’est qu’elle va se trouver, dans les six mois qui viennent, au pied du mur : ou bien les cinq signataires de l’accord de Pretoria et ceux qui les suivent restent dans le processus et acceptent qu’une élection présidentielle transparente, incontestable et incontestée désigne le ou les dévolutaires du pouvoir, et c’est la sortie de crise.
Ou bien l’un d’eux, parce qu’il appréhende le résultat du scrutin, sort du processus et parvient à le faire dérailler. C’est alors la rechute.

*Dernier en date des accords signés en moins de trois ans par les protagonistes de la crise et restés lettre morte (Accra I – octobre 2002 ; Marcoussis – 23 janvier 2003 ; Accra II – 7 mars 2003 ; Accra III – 30 juillet 2004).

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