Peur sur Kinshasa

Étienne Tshisekedi appelle ses partisans à manifester contre la prorogation du processus de transition. Résultat : une dizaine de morts et plusieurs dizaines de blessés.

Publié le 3 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Une fois de plus, Kinshasa a joué avec le feu. Comme il l’avait annoncé à plusieurs reprises avant la date fatidique, Étienne Tshisekedi a appelé ses militants à descendre dans la rue pour protester contre la prorogation du processus de transition en RD Congo au-delà du 30 juin. Mais le « sphinx de Limete » (du nom du quartier où il réside) n’est pas parvenu à mobiliser les foules. Quelques milliers de manifestants – sur les six millions d’habitants que compte la capitale – ont battu le pavé. Mais plus que la mobilisation de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), c’est la répression dont les « tshisekedistes » ont fait l’objet qui a servi de caisse de résonance à leur action.
Une dizaine de personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées au cours de la journée du 30 juin à Kinshasa et dans d’autres villes de la RDC. Un bilan dressé par les autorités et confirmé par certains membres de l’opposition, qui dénoncent une « répression disproportionnée ». Celle-ci a également fait des victimes à Tshikapa (Kasaï occidental) et à Mbuji-Mayi, chef-lieu du Kasaï oriental, province natale de Tshisekedi. Mais, rapporté à l’échelle de l’ex-Zaïre, le nombre de victimes est resté bien inférieur à ce que redoutaient les autorités.
La majorité des 5 000 policiers déployés dans Kinshasa a systématiquement dispersé les rassemblements au moyen d’armes non létales (grenades lacrymogènes, matraques, balles plastiques). Mais certains membres des forces de l’ordre ont tiré à balles réelles, a reconnu le général Benjamin Alongabony, adjoint au chef de la police nationale. Malgré ces dérapages, l’officier a salué l’efficacité de la police formée depuis plusieurs mois par des instructeurs étrangers, grâce à l’aide de l’Afrique du Sud, de l’Angola, de la France et de l’Union européenne. Une manière de souligner que les institutions de transition ne sont pas aussi inefficaces que les plus critiques le prétendent.
Si les autorités peuvent se féliciter d’être parvenues à « limiter la casse », elles peuvent aussi se réjouir de l’échec de cette journée test pour Tshisekedi. Beaucoup de Kinois ont regretté que le chef de l’UDPS ne soit pas lui-même descendu dans la rue, se contentant d’envoyer ses ouailles en première ligne dans l’espoir de provoquer enfin le « grand soir » congolais.
La mobilisation massive des Kinois pour le recensement électoral – malgré l’appel au boycottage lancé par l’UDPS – est un nouvel échec et constitue, pour beaucoup, un signe supplémentaire d’essoufflement de l’opposition. « Déjà, 300 000 électeurs sur 3 millions se sont fait recenser dans la seule ville de Kinshasa, souligne un diplomate occidental. Cet engouement pour le processus électoral prouve que la population a accepté la prolongation de six mois de la transition. Et qu’elle souhaite bien la voir menée à son terme. »
Quant à la stratégie de l’UDPS, nombre d’observateurs ont bien du mal à la comprendre. En effet, son chef semble rechercher l’instauration d’un climat délétère alors qu’il aurait – apparemment – tout à gagner de la tenue d’élections régulières. Selon un sondage réalisé par l’institut Berci, en juin dernier, à Kinshasa, en cas de scrutin présidentiel, Étienne Tshisekedi totalise 34 % des intentions de vote, contre 26 % pour le chef de l’État, Joseph Kabila, et seulement 6 % pour son vice-président Jean-Pierre Bemba.
Des résultats qui ont sans doute fait réfléchir les dirigeants congolais, désormais conscients qu’ils n’ont plus le droit à l’erreur. Après un premier report des élections générales, il leur sera difficile d’en demander un second, tant à la population qu’à la communauté internationale.
Dès le 28 juin, le président Kabila était intervenu pour rappeler la nécessité de « respecter scrupuleusement » la nouvelle feuille de route, à savoir la poursuite du processus électoral en vue de l’organisation des élections générales d’ici au 30 juin 2006, l’accélération de la restructuration des forces armées et de la police, ainsi que le désarmement immédiat des groupes armés étrangers basés en RD Congo, en particulier dans l’est du pays. Dans la foulée, le chef de l’État a cru bon de lâcher du lest en évoquant la majoration des avantages des agents de l’État, le paiement immédiat et la revalorisation de la solde des militaires et des policiers.
Si les partenaires étrangers, eux, ont accepté volontiers la prorogation de la transition, ils n’en restent pas moins inquiets quant à la poursuite du processus. La Mission de l’ONU en RDC (Monuc), le Comité international d’accompagnement de la transition (Ciat) et la Commission européenne appellent les dirigeants du pays à « se comporter d’une manière plus responsable » au cours des mois à venir. Pour sa part, le Conseil de sécurité de l’ONU demande aux autorités de transition d’exercer un « contrôle efficace, transparent et complet des finances publiques » pour éviter les détournements de fonds et la corruption. Histoire de ne pas fournir trop d’arguments à Étienne Tshisekedi ?

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