Lutte contre la pauvreté : l’Amérique à la traîne

Publié le 3 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Au moment où l’Afrique pourrait marquer tant de points dans son combat pour échapper à la pauvreté, la stratégie de l’Amérique en matière d’aide au continent est un désastre. Le directeur du Challenge du millénaire du président George W. Bush vient de démissionner après avoir été incapable de faire appliquer le programme. Des dirigeants africains démocratiquement élus se sont publiquement étonnés de l’inertie des États-Unis. De récentes auditions parlementaires ont montré que les mesures envisagées par l’Amérique pour faire reculer le paludisme relevaient plus de l’effet d’annonce que de la lutte contre la maladie. Et le président a récemment écarté une proposition du Premier ministre britannique Tony Blair d’annoncer avant le sommet du G8 que la communauté internationale était décidée à doubler l’aide à l’Afrique.
Contrairement à une opinion mondiale qui approuve Blair et à une série d’études qui montrent que l’Afrique pourrait effectivement tirer le meilleur parti d’un doublement de l’aide en 2010, Bush propose un petit supplément d’aide alimentaire d’urgence. Ce qui souligne le fossé qui existe entre l’attitude américaine, qui se limite à apporter une aide alimentaire, et la bonne solution, qui serait d’aider les Africains à produire davantage de ressources alimentaires. Et si les pays du G8 se sont mis d’accord sur une annulation de la dette de l’Afrique, ce n’est qu’un tout petit pas, qui représente environ 1,5 milliard de dollars par an sur les 25 milliards de dollars annuels dont l’Afrique a besoin. L’administration Bush a indiqué que les États-Unis financeraient leur part de cette dépense – environ 150 millions de dollars par an – en rognant sur d’autres formes d’aide. Une telle politique est particulièrement scandaleuse, car elle représente une condamnation à mort pour les 6 millions d’Africains victimes chaque année de maladies qui pourraient être traitées ou de situations qui pourraient être améliorées : sous-alimentation, absence d’eau potable, paludisme, tuberculose et sida.
Le seul aspect positif de la politique américaine en Afrique est le programme d’urgence de lutte contre le sida, qui distribue des antirétroviraux à plus de 200 000 Africains, avec un objectif de 2 millions en 2008. La leçon à tirer de ce succès, et d’autres, est claire. L’aide étrangère doit se proposer des objectifs précis, mesurables, réalistes et courageux.
Les États-Unis doivent aider les pays qui sont prêts à s’aider eux-mêmes ; et les Américains, essayer de comprendre les causes de la crise et les moyens de la résoudre. Voici quatre mesures que Bush et le Congrès pourraient prendre pour remettre sur pied une stratégie africaine à la dérive.
Premièrement, accepter, avec la plus grande partie de la communauté internationale, de doubler l’aide globale à l’Afrique, en se concentrant sur quatre priorités : accroître les ressources alimentaires, combattre la maladie, s’assurer que les enfants vont à l’école et mettre en place les infrastructures indispensables. Dans la contribution mondiale, la part des États-Unis devrait passer de 3 milliards de dollars cette année à environ 15 milliards en 2010.
Deuxièmement, fixer des buts chiffrés fondés sur les Objectifs du millénaire pour le développement. Ces objectifs sont valables pour tous. Ils peuvent être utilisés pour mesurer les progrès réalisés et rectifier le tir.
Troisièmement, faire fonctionner convenablement le Challenge du millénaire. Le programme était censé débloquer 10 milliards de dollars de 2003 à 2005, dont 5 milliards cette année, mais il n’a pratiquement pas déboursé un sou. Il devrait concentrer ses efforts sur des investissements réalistes dans les quatre secteurs prioritaires, en versant au moins 8 milliards de dollars par an en 2010, essentiellement à l’Afrique.
Quatrièmement, dire la vérité au peuple américain sur la faiblesse de l’aide américaine à l’Afrique. Sur les quelque 3 milliards de dollars qu’elle représente cette année, la plus grande partie finance l’aide alimentaire d’urgence et les salaires du personnel américain. L’aide pour des investissements comme la lutte contre le paludisme ou la mise à disposition d’eau potable est fort réduite. Elle équivaut peut-être à 1 dollar par Africain et à une contribution de 2 dollars par Américain.
Un accroissement des investissements pourrait faire toute la différence. Avec une contribution philanthropique privée à un groupe de villages de l’ouest du Kenya, l’Institut de la Terre de l’université Columbia a aidé les agriculteurs à améliorer leurs semences et à reconstituer la qualité de leur sol. Résultat : des récoltes trois fois plus abondantes en une saison. À l’échelle du continent, les Africains pourraient avoir leur Révolution verte du XXIe siècle, tripler leurs récoltes et échapper aux cycles chroniques de la faim, de la pauvreté et de la maladie. De même, les Africains pourraient combattre le paludisme, qui fait 200 000 morts par mois. Avec 3 milliards de dollars par an, on pourrait assurer une distribution massive de médicaments et de moustiquaires.
L’aide pourrait aussi permettre à chaque petit Africain pauvre d’aller à l’école. Avec davantage d’argent, on pourrait supprimer les frais de scolarité, avoir davantage d’écoles et d’enseignants, approvisionner les cantines en produits alimentaires locaux et mettre à la disposition des familles de l’eau et des ressources énergétiques, de sorte que les femmes et les enfants ne passent plus leur temps à ramasser du bois et à faire des kilomètres pour remplir une cuvette.
Par leur inertie, les États-Unis seront responsables de la perte de millions de vies et aggraveront l’instabilité mondiale. En participant aux efforts déployés par la communauté internationale pour venir en aide à l’Afrique, Bush honorerait les engagements pris depuis longtemps, et qui n’ont toujours pas été tenus, oeuvrerait pour la sécurité de l’Amérique et montrerait qu’elle peut faire preuve d’un peu de générosité.

* Jeffrey Sachs est directeur de l’Institut de la Terre à l’université Columbia de New York et l’auteur de The End of Poverty ( » La fin de la pauvreté « ).

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