L’impromptu de Balad

Les Américains ne savent plus à quel saint se vouer. La preuve, ils négocient avec les insurgés !

Publié le 3 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

Drôle d’anniversaire ! Le 28 juin 2004, à Bagdad, la coalition transférait le pouvoir – au moins en théorie – à un exécutif transitoire irakien. Abou Moussab Zarqaoui et ses combattants d’al-Qaïda ont fêté l’événement à leur manière : en lançant un kamikaze contre le convoi de Dhari el-Fayyad, 87 ans, doyen des députés et, surtout, chef de la puissante tribu chiite des Abou Amer. Ce qui risque de creuser un peu plus le fossé entre les communautés sunnite et chiite.
Chaque jour, la violence fait ici plusieurs dizaines de victimes. L’armée américaine multiplie les opérations dévastatrices (des centaines de maisons rasées à Fallouja, Samara, Tel Afar, Haditha ou Hit), mais sans grand résultat. C’est dans ce contexte que les Irakiens ont appris avec stupéfaction l’existence de négociations directes entre les Américains et certains groupes d’insurgés. L’information a été rendue publique par l’hebdomadaire britannique The Sunday Times dans son édition du 26 juin, puis confirmée par Donald Rumsfeld, le chef du Pentagone.
La source de notre confrère n’est autre qu’Ayhem Samaraï, un opposant à Saddam Hussein rentré en Irak dans les fourgons de l’armée américaine après vingt ans d’exil aux États-Unis. Il était ministre de l’Électricité dans le précédent gouvernement. C’est une sorte d’Ahmed Chalabi, en moins fringant. Ou d’Iyad Allaoui, en moins fonceur.
Selon Samaraï, deux rencontres ont eu lieu, les 3 et 14 juin, dans une villa de Balad, un fief insurgé au nord de Bagdad. La délégation américaine était composée d’un officier, d’un membre de la CIA, d’un fonctionnaire du Sénat et d’un représentant de l’ambassade. Celle des insurgés comprenait des représentants de divers groupes : Ansar Es-Sunna (affilié à al-Qaïda), l’Armée islamique (auteur de l’enlèvement des journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot), l’Armée de libération de l’Irak, etc.
Un participant rapporte que, devant un verre de thé rouge et quelques biscuits, les insurgés ont exigé un calendrier de retrait des forces d’occupation, ainsi qu’une indemnisation financière pour les destructions qu’elles ont commises. Leurs interlocuteurs ont promis de transmettre à qui de droit. Le ton des discussions est resté plutôt cordial jusqu’à ce qu’un Américain exige l’arrêt de tout soutien aux terroristes étrangers. Réponse cinglante : « Jamais nous ne nous détournerons de nos frères venus se battre contre l’occupant. »
Bien entendu, l’information a aussitôt provoqué des réactions contrastées. Abou Maïssara al-Iraki, le porte-parole de Zarqaoui, a menacé de mort quiconque négocierait avec « les croisés et les juifs », tandis qu’Ansar Es-Sunna et l’Armée islamique démentaient tout contact avec « les ennemis de l’islam », bientôt imités par une quinzaine de groupes. Quant au président irakien, le Kurde Jalal Talabani, il s’est ému que l’allié américain accepte de dialoguer avec des groupes qui n’hésitent pas à massacrer des civils. Mais ce même Talabani n’avait-il pas proposé, il y a peu, à ces mêmes groupes une amnistie en échange d’un cessez-le-feu ? Le Premier ministre Ibrahim Djaafari s’est pour sa part borné à contredire les déclarations alarmistes du général John Abizaid, le patron des forces américaines en Irak. Selon lui, la question de la sécurité sera réglée dans deux ans, au plus tard…
En mauvaise posture dans les sondages, George W. Bush n’a à l’évidence aucun plan pour sortir de l’impasse comme le prouve la vacuité du discours qu’il a prononcé le 28 juin sur la base militaire de Fort Bragg (Caroline du Nord). A-t-il donné son feu vert à ces contacts secrets ? La suite le dira peut-être. En attendant, les Irakiens ne voient toujours pas le bout de l’horreur.

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