Légitimation électorale

Publié le 3 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

De l’entretien que nous publions cette semaine et de quelques autres accordés ces derniers mois par le président ivoirien, on retient avant tout une chose : Laurent Gbagbo n’envisage pas l’avenir sans une élection présidentielle. Qu’elle se déroule en octobre 2005 ou, sans doute, un peu plus tard importe peu : quel que soit le contexte, cette consultation qui le légitimerait enfin pour un second et dernier quinquennat aura lieu. Dans quelles conditions ? C’est une autre affaire. Autant le président ivoirien semble s’être persuadé que le report indéfini de l’échéance n’est plus désormais concevable – ne serait-ce que parce qu’il finirait par entraîner la mise en oeuvre de sanctions coercitives et punitives de l’ONU -, autant la perspective d’une élection « free and fair », avec campagne ouverte et participation de tous les candidats, est pour lui extrêmement risquée.
De la présidentielle d’octobre 2000 aux départementales de juillet 2002, Laurent Gbagbo et son parti, le FPI, se sont soumis à quatre reprises au suffrage universel dans le cadre de scrutins d’inégale valeur. En deux ans, l’effritement du tandem Gbagbo-FPI est réel : de 59,36 % des voix en octobre 2000, il passe à 37,06 % aux législatives, 25,2 % aux municipales (lesquelles ont fourni l’image la moins faussée jusqu’ici du nouveau paysage politique ivoirien) et 20,6 % aux départementales. En termes de pourcentage du corps électoral, la chute est encore plus spectaculaire : 19 % à la présidentielle et 8,7 % aux municipales.
La crise et la guerre civile ayant cristallisé les positions des différents protagonistes et pratiquement interdit les transhumances d’opinions, la quasi-totalité des observateurs pensent que les chances d’une réélection de Laurent Gbagbo sont, en l’état actuel des choses, extrêmement réduites. Il y a deux mois, une estimation française, réalisée à la demande de l’Élysée, donnait les résultats suivants au premier tour : Henri Konan Bédié, 33 à 35 % des voix ; Laurent Gbagbo, 22 à 25 % ; Alassane Ouattara, 18 à 22 %…
Face à ce scénario-cauchemar rendu probable par l’accord de désistement réciproque entre Bédié et Ouattara, le président ivoirien a dans sa manche des tactiques, des calculs et une stratégie. La tactique est aléatoire : il s’agit de « casser » le PDCI en favorisant, par exemple, la candidature dissidente de Charles Konan Banny, afin d’affaiblir Bédié et d’affronter Ouattara au second tour en comptant sur l’effet repoussoir que pourrait susciter ce dernier sur l’électorat baoulé. Le calcul, qui apparaît en filigrane de l’interview que nous publions cette semaine, consiste à appeler de ses voeux l’élection présidentielle, mais à tout faire (ou à ne rien faire) pour que les conditions de sécurité autorisent ses adversaires à entrer en compétition.
Avec un peu de wishful thinking, Laurent Gbagbo est en droit de penser que le contexte international est favorable à la tenue d’une élection au forceps sans la participation « physique » de ses rivaux : Kofi Annan est affaibli, Jacques Chirac en bout de course, Thabo Mbeki et Olusegun Obasanjo se neutralisent, les voisins sont tétanisés – tout se conjugue en somme pour que la communauté internationale se réfugie dans l’impuissance. La stratégie, enfin : de plus en plus, le discours de Laurent Gbagbo, national-ivoiriste ou social-ivoiriste, comme on voudra, joue sur une double fracture, celle des générations et celle de ce que Mamadou Koulibaly, l’idéologue du régime, appelle « le pacte colonial ».
Son électorat cible, c’est la jeunesse urbaine, une jeunesse frustrée, sans perspectives d’avenir, drainée par des leaders populistes qui ont avorté leurs études et trouvé dans la politique l’unique perspective de mener cette « vie de platine » que n’assurent plus les diplômes, désormais rendus inutiles par la crise. Lorsqu’il parle à ces « cabris morts qui ne craignent pas le couteau », Laurent Gbagbo retrouve les accents du tribun vindicatif et partisan pour qui toutes les recettes, y compris celle de l’ivoirité, sont bonnes à utiliser. Rejet de la « vieille » Côte d’Ivoire, du « vieux » Houphouët, mais aussi de la « vieille France » : à l’ivoirité interne, Gbagbo ajoute une touche d’ivoirité externe afin de construire son nouveau concept identitaire et de parfaire son socle électoral. En historien, il sait que si la France « perd » la Côte d’Ivoire, il n’y aura plus de présence française en Afrique au sens où on l’entend depuis un siècle. En laissant planer le doute sur l’avenir de la dernière hypothèque française en Côte d’Ivoire – la base du 43e Bima de Port-Bouët -, Laurent Gbagbo fait, certes, de la politique, mais il surfe aussi sur un mouvement général de défiance, voire de rejet de l’ex-colonisateur, sensible partout en Afrique francophone. Reste à savoir si cette stratégie, qui consiste à faire passer ses adversaires pour des candidats du passé et de l’étranger, lui permettra, le jour venu, d’élargir son audience électorale. On peut, légitimement, en douter.

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