En quittant Annaba

Publié le 3 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

Il faut quitter Annaba au petit matin, prendre la route de l’est et s’enfoncer ensuite dans la wilaya d’El-Tarf, qui s’étend sur 90 km de littoral. Cette région est la seule plaine maritime d’Algérie. C’est aussi la plus importante zone humide d’Afrique du Nord. Elle bénéficie d’un microclimat qui attire des centaines d’espèces d’oiseaux migrateurs et fait pousser des dizaines de plantes médicinales. Une région déroutante, mélange de forêts, de lacs, de lagunes, de rivières et de dunes qui plongent dans la mer. Une mosaïque d’écosystèmes qui est un enchantement pour le visiteur. Le long de la route qui mène au parc naturel protégé d’El-Khala, on aperçoit au loin la ligne de l’Atlas. Les champs sont piqués de fleurs et l’on traverse quelques villages en construction. Les tracteurs sont sortis, mais leurs conducteurs sirotent encore leur thé du matin, assis aux terrasses des cafés. Les gens d’ici racontent volontiers que c’est dans le coin qu’est né l’écrivain Albert Camus, qui a vu le jour à Mondovi, à 15 km. C’est aussi la région de l’ancien président Chadli, dont la maison familiale est entourée de beaux murs blancs. On croise un mausolée trapu, blanc cassé, surmonté du croissant. Ses gardiennes attentives sont deux cigognes altières, les pattes plantées droites dans leur nid. Les cigognes… ce sont les reines des villages environnants, au-dessus desquels elles planent tranquillement. On en voit des dizaines, et pas un seul poteau électrique qui ne soit coiffé d’un nid !

On pénètre dans le parc naturel d’El-Khala sans s’en rendre compte, car c’est un espace ouvert qui a pour seule délimitation la frontière tunisienne. Créé en 1983, il a été inscrit en 1990 au Patrimoine naturel et culturel international de l’Unesco. Ses 80 000 hectares abritent 9 communes qui vivent de l’agriculture : culture de la tomate, du tabac, de la cacahuète, exploitation du liège et de la bruyère. Les hommes portent le chapeau de paille, les femmes le fichu coloré. Les habitants ont conservé l’ancienne délimitation de leurs lopins : ils préfèrent les figuiers de Barbarie aux fils de fer. Les terres détrempées annoncent l’arrivée à l’oued Mafragh, qui, comme son nom l’indique, est « celui qui se déverse dans la mer ». À son embouchure, les pêcheurs ont installé quelques baraques en tôle et tiré leurs barques colorées. Un père et ses deux jeunes fils réparent leurs filets avant de mettre en marche le moteur et de remonter le cours d’eau boueuse. Au point où se mélangent l’eau douce et l’eau salée, la brise marine se superpose à l’odeur des marécages. D’un côté le large, de l’autre les roseaux et les hautes herbes.

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Passé le pont qui traverse l’oued, on retrouve la pinède. Et on prend le maquis. La végétation est dense, on s’enfonce un peu plus dans un paysage boisé et sauvage. Soudain, une étendue d’eau très bleue scintille au milieu de la verdure. C’est l’un des trois lacs protégés du parc : El-Melah (« le sel »), de 700 hectares, mitoyen avec la mer et très riche en poissons ; Obeira, lac d’eau douce de 2 200 hectares ; et Tonga, le plus grand, de 2 600 hectares. Ce dernier, relié à la mer par un canal, abrite le poste d’observation du parc : deux maisons, dont l’une, en bois brun, ressemble à un chalet. Les ornithologues du monde entier viennent y étudier 365 espèces d’oiseaux. Une espèce pour chaque jour… Les eaux grouillent aussi de poissons comme le mulet à tête plate ou la très recherchée anguille.
On s’attend au silence. Mais c’est l’inverse : bourdonnements, coassements, bruits de succion et hoquets en tout genre… L’air vibre de ces sons inconnus de l’oreille citadine. En surface, grenouilles reinettes et tortues aquatiques plongent en faisant clapoter l’eau. Un vent léger balaie les roseaux. On embarque, au sens propre : dans une barque de bois épais qui ne peut supporter que trois personnes, un gamin au grand sourire navigue habilement entre les massifs de nénuphars blancs, les nids cachés, remplis d’oeufs et émaillés de plumes. Il se fraie un passage au milieu de la végétation et la barque glisse, poursuivie par des bataillons de libellules. Quelques gouttes d’eau sur la peau, le soleil au zénith et le sentiment d’être parmi les rares privilégiés à pénétrer ce paradis vert. La barque repart. Pour un voyage sans fin.

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