Adil Douiri « Comment nous atteindrons les 10 millions de touristes par an »

Augmentation des capacités hôtelières, politique des prix et des transports… Le ministre du Tourisme précise les axes de développement de son secteur.

Publié le 3 juillet 2005 Lecture : 7 minutes.

Lorsque Adil Douiri est nommé ministre du Tourisme, en 2002, il se voit confier une mission précise : développer le secteur pour arriver au chiffre rêvé de 10 millions de visiteurs par an à l’horizon 2010. Si ce diplômé de l’École des ponts et chaussées de Paris a d’abord fait ses preuves dans le monde des affaires, la politique est pourtant une tradition familiale : son grand-père maternel, Ahmed Balafrej, et son père, Mohamed Douiri, deux figures historiques du parti de l’Istiqlal, furent ministres – le premier sous Mohammed V, le second sous Hassan II. Adil Douiri, 39 ans, a commencé sa carrière à Paribas, où il a géré, de 1986 à 1992, l’un des plus importants fonds d’investissements de la banque. Il fut élu à deux reprises par la presse spécialisée « meilleur gérant de portefeuilles américains à Paris ». En 1992, il a cofondé avec Amyn Alami Casablanca Finance Group (CFG), la première banque d’affaires privée au Maroc. Il a également présidé la Commission économique et financière de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), le patronat marocain. Le ministre doit maintenant relever un nouveau défi, d’une autre ampleur cette fois-ci : concrétiser les ambitions touristiques du royaume, la fameuse « Vision 2010 ».

Jeune Afrique/l’Intelligent : À quoi correspond le programme Vision 2010 ?
Adil Douiri : La Vision 2010 pour le tourisme a été conceptualisée en 2001, puis notre gouvernement est arrivé en 2002. Nous avons mis en place une forme originale de « copilotage » systématique de tous les chantiers avec la Fédération privée du tourisme, et je me félicite du bon fonctionnement de ce partenariat. Nous assumons ensemble les résultats, les succès comme les échecs. Nous organisons chaque année les Assises du tourisme, où tous les acteurs du privé et du public se réunissent pour faire le point sur l’avancement des programmes.
J.A.I. : Où sont les avancées et les retards ?
A.D. : Nous sommes satisfaits sur trois points essentiels : l’hébergement, le transport et la vente. Tout d’abord, un coup d’accélérateur a été donné à l’ouverture de nouvelles capacités d’hébergement (hôtels, clubs, ryads, maisons d’hôtes…). De 1996 à 2000, notre production moyenne était de 1 500 lits par an, elle est passée à 9 000 entre 2003 et 2004. Deuxième motif de satisfaction : l’augmentation significative des budgets, auparavant modestes, de l’Office national marocain du tourisme (ONMT). Notre gouvernement a également incité l’ONMT à réformer son mode d’action, en donnant la priorité aux réseaux de distribution et aux compagnies aériennes plutôt qu’à la publicité et la promotion.
Troisième satisfecit : notre ministre des Transports Karim Ghellab a effectué une rupture complète en libéralisant avec sagesse et courage le transport aérien, ce qui a permis d’obtenir une très forte densification de la desserte aérienne. Onze nouvelles compagnies – anglaises, allemandes, espagnoles et françaises notamment – sont entrées dans le ciel marocain en 2004.
J.A.I. : Comment a réagi la compagnie nationale Royal Air Maroc (RAM) ?
A.D. : La RAM est une compagnie de prestige à service complet comme British Airways ou Air France. Elle a su réagir en créant une compagnie spécialisée low cost qui dessert les grandes métropoles européennes. Atlas Blue est une réponse intelligente de la RAM à la libéralisation du ciel.
J.A.I. : N’y a-t-il que des points positifs ?
A.D. : Les programmes de mise en valeur de nouvelles zones touristiques sont un peu plus longs à mettre en place que prévu. Il aurait fallu que tous les projets soient lancés en même temps pour que nous ayons réellement les capacités d’hébergement visées en 2010. Il est possible que 2010 devienne 2012. C’est un point que je regrette, mais il est en partie lié aux dérapages naturels des négociations avec le secteur privé. Ce n’est pas l’État qui construit les stations balnéaires, il conçoit les produits puis les propose aux investisseurs. Vingt stations sont prévues. En plus des six du plan Azur, il y en a d’autres à Marrakech, Fès, Zagora, Ouarzazate, Tanger, Tétouan… Honnêtement, c’était irréaliste d’imaginer lancer en même temps vingt chantiers majeurs en 2003 en pensant que tout serait prêt en 2010. Certains ont démarré en 2003, d’autres en 2004 ou 2005, il y a donc un léger décalage dans le temps.
J.A.I. : Alors, quand le cap des 10 millions de visiteurs sera-t-il atteint ?
A.D. : Nous menons actuellement une étude précise pour estimer l’année où nous atteindrons les 230 000 lits pour les héberger. Le plus important, c’est que nous avons cassé des habitudes et accéléré notre développement, donc 2010, 2011 ou 2012, je ne pense pas que le monde s’arrêtera à ces considérations.
QJ.A.I. : uels sont les atouts du Maroc par rapport à ses principaux concurrents ?
A.D. : Historiquement, le Maroc s’adresse aux pays avec lesquels il a un socle culturel commun. La proximité et la familiarité sont deux éléments clés, et nous sommes situés à deux heures et demie d’avion des grands marchés émetteurs. Je ne vais pas parler des autres pays, mais du Maroc, qui a des atouts spécifiques : notre pays est riche d’une histoire, d’une culture et de traditions millénaires. Par sa position géographique, c’est un incroyable melting-pot racial et religieux : juifs, chrétiens et musulmans, Berbères, Arabes, Africains et Andalous, Noirs et Blancs, etc., y vivent en parfaite harmonie.
J.A.I. : Irez-vous vers une politique de baisse des prix pour arriver aux 10 millions d’entrées escomptées ?
A.D. : Nos études montrent qu’il y a un potentiel de touristes européens pour des séjours au-dessus de 800 euros. Si nous pouvons avoir 10 millions de touristes au-dessus de 800 euros, je ne vois pas l’intérêt de baisser les prix. Nous misons également sur les Marocains résidant à l’étranger (MRE) de deuxième et troisième générations, qui constituent une clientèle importante pour l’hôtellerie et les loisirs marocains. Cette communauté émigrée représente aujourd’hui 2,5 millions d’entrées par an.
J.A.I. : Dans les années 1990, plus d’un million de touristes algériens venaient au Maroc. Aujourd’hui, il n’y en a quasiment plus. Sont-ils concernés par Vision 2010 ?
A.D. : Je serais ravi d’accueillir les Algériens et j’espère d’ailleurs que la station balnéaire que nous construisons à Saïdia, à 10 km de la frontière, deviendra une destination prisée de nos voisins. Mais la conjoncture politique est complexe. La population de la région de Saïdia se considère pénalisée par la fermeture des frontières. Imaginez l’Alsace ou la Lorraine si l’on fermait la frontière avec l’Allemagne !
J.A.I. : Quelles ont été les conséquences des attentats terroristes de ces dernières années, de ceux du 16 mai 2003 à Casablanca en particulier ?
A.D. : Notre tourisme est très lié aux cycles de consommation des ménages occidentaux. Dans les creux conjoncturels, nous enregistrons des stagnations ou de légers reculs. Des événements exceptionnels comme le 11 septembre 2001, la guerre du Golfe en 2003, et les attentats de Casablanca ont eu un impact sur les pays dans lesquels nous n’avons pas construit une image forte. En revanche, l’impact a été très faible ou nul dans les pays où nous avons construit une image de proximité et de familiarité, comme la France, l’Espagne ou le Royaume-Uni. Globalement, nous avons stagné en nombre d’arrivées en 2002-2003, ensuite nous sommes passés de 4,7 millions à 5,5 millions en 2004, grâce au retour de la croissance et à la dissipation de l’effet de crainte lié au terrorisme.
J.A.I. : Êtes-vous confrontés à des résistances ou à des critiques de la part des islamistes ?
A.D. : Le parti le plus à droite dans l’arc du conservatisme au Parlement [le Parti de la justice et du développement, PJD, islamiste, NDLR] me soutient et me propose des idées… Chaque parti politique a un « positionnement marketing » et vise des segments de population. Le PJD a donc son discours propre, mais, dans les faits, il est très favorable au tourisme. La population comprend également très bien les bénéfices des retombées touris- tiques sur son niveau de vie.
J.A.I. : On parle pourtant de retombées négatives telles que la flambée de l’immobilier ou l’augmentation du coût de la vie, en particulier à Marrakech…
A.D. : Ceux qui possèdent des terrains sont ravis. Les Marrakchis s’enrichissent en vendant leur maison dans l’ancienne médina. Ils réalisent des plus-values leur permettant d’accéder à des logements de standing. Pour le logement social, l’État prépare des programmes immobiliers de grande ampleur, modernes et à bas coûts. Si vous cherchez un appartement huppé à Marrakech, alors oui, c’est cher, mais cela concerne la bourgeoisie casablancaise, pas le gros de la population marocaine.
J.A.I. : Privilégiez-vous le développement de pôles touristiques dans des régions précises ?
A.D. : Il n’y a pas de « régions oubliées ». Notre programme porte à la fois sur la création de stations balnéaires sophistiquées, la mise en valeur des villes culturelles et impériales et, pour répondre à la demande des autres régions, le développement de produits au niveau rural avec la création de gîtes et d’agences spécialisées dans le tourisme de niche, de montagne ou de désert.
J.A.I. : Quels sont les autres projets à venir ?
A.D. : La formation des ressources humaines mérite un effort particulier. Notre pays compte dix-neuf écoles de tourisme, sept autres sont en cours de création. En parallèle, nous élargissons les capacités d’accueil des établissements existants. Nous aurons quadruplé notre capacité en une décennie pour former 8 500 élèves par an.

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