Wade orphelin de ses opposants

Que va faire le président maintenant que ses principaux adversaires ne siègent plus au Parlement ?

Publié le 3 juin 2007 Lecture : 3 minutes.

« Le sopi est en marche », proclamaient les affiches de la coalition présidentielle, placardées avec parcimonie dans les rues de Dakar, pour les élections législatives du 3 juin. En gros plan : le pape du sopi (« changement », en wolof), le chef de l’État sénégalais Abdoulaye Wade et, légèrement en retrait, son Premier ministre Macky Sall, promu tête de liste. Le message était clair. Sur la dynamique de la présidentielle remportée haut la main dès le premier tour avec 55,9 % des voix, le 25 février dernier, les 5 millions d’électeurs étaient appelés à reconduire les sortants. Mais entre-temps, la ferveur et l’engouement populaires sont retombés. « Les Sénégalais personnalisent tellement la politique que seule la course à la magistrature suprême les anime véritablement », a-t-on coutume de dire au pays de la Téranga (« hospitalité », en wolof). De fait, ce scrutin législatif, marqué par le boycottage d’une bonne partie de l’opposition, n’a guère soulevé d’enthousiasme. Les dés étant déjà lancés, pourquoi jouer ?
Une fois élus, les 150 députés, qui n’auront pas véritablement livré bataille, seront dans l’obligation d’oublier rapidement une victoire sans péril pour entamer cette nouvelle législature. Sous peine de décevoir ceux qui ont bien voulu accorder leur confiance. « Nous allons opérer des changements fondamentaux pour contrôler davantage l’action gouvernementale et promouvoir la proximité avec la population », promet Iba Der Thiam, premier vice-président de l’Assemblée sortante, sans doute conscient des risques d’une Chambre parlementaire unicolore et d’une majorité de « godillots ». Car la feuille de route des députés est sans surprise. Il s’agira d’accompagner et d’avaliser une stratégie définie au Palais.
Après les nombreux chantiers lancés dans la capitale durant le premier mandat, mais encore inachevés, le projet présidentiel ne manque pas d’audace. Le prochain aéroport international, une nouvelle ville au nord de Dakar et le grand écartement de la ligne de chemin de fer Dakar-Bamako sont les marques d’une ambition qui se veut sans limite. Dans le secteur agricole, la priorité concerne la transformation des produits, le maraîchage et l’agro-industrie. Autant de leviers censés redonner un peu de souffle à une économie qui a connu un trou d’air en 2006, avec un taux de croissance ramené à 3 %. Les difficultés de la filière arachide, la crise des Industries chimiques du Sénégal (ICS), qui a entraîné une chute de la production d’acide phosphorique, la facture pétrolière ainsi que les carences énergétiques sont passées par là. De quoi affecter une population dont plus de la moitié vit dans la pauvreté ?et qui est confrontée à une hausse continue des prix des produits de ?première nécessité.
« Nous allons durcir notre positionnement. Il nous reste l’espace public pour asseoir notre légitimité populaire et imposer un rapport de force », annonce Abdoulaye Vilane, le porte-parole du front Siggil Sénégal (« Relever la tête du Sénégal »), qui regroupe tous les partis ayant opté pour la politique de la « chaise vide » à l’Assemblée (voir J.A. n° 2420). Les accusations de fraude lors de la présidentielle, les soupçons de tripatouillage du fichier électoral et la répartition injuste des sièges de députés sur les listes sont les raisons invoquées par une opposition bien décidée à donner un caractère référendaire anti-Wade à ce scrutin. « Le président aurait tort de considérer qu’il a les coudées franches », analyse un observateur. De ce point de vue, les grèves à répétition des enseignants qui revendiquent des hausses salariales sont un premier signal envoyé au chef de l’État. Il s’agit pour les adversaires du régime, avec la connivence de certains syndicats aux liens avérés avec plusieurs formations de l’opposition, de déplacer la joute politique sur le terrain des revendications sociales.
Mais si la vague bleue du Parti démocratique sénégalais (PDS) laisse un peu de place au ressac de l’opposition, elle pourrait aussi aiguiser les appétits au sein même du camp présidentiel. Âgé de 81 ans, Gorgui (« le Vieux », en wolof) va devoir désigner un dauphin, s’il ne veut pas qu’une lutte intestine, déjà perceptible, ne dégénère en guerre des chefs. Après la brouille au sommet avec l’ex-Premier ministre Idrissa Seck, parti rejoindre les rangs de l’opposition avec ses partisans du Rewmi, qui pourrait enfiler le boubou de successeur ? Difficile à dire. Le PDS, composé d’individualités, n’a toujours été qu’une machine au service de son fondateur. Mais d’ici à 2012, terme du second et dernier mandat de Wade, beaucoup de choses peuvent se passer. À commencer par le rétablissement programmé du Sénat, dont le président, véritable numéro deux de l’État, pourrait susciter des ambitions et alimenter bien des rivalités.

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