Israël et les Arabes

Publié le 3 juin 2007 Lecture : 6 minutes.

Voici un anniversaire qui mérite qu’on s’y arrête : ?il y a quarante ans éclatait entre le tout jeune État d’Israël et ses voisins arabes une guerre qui allait être une des plus courtes de l’Histoire – elle a duré six jours, du 5 au 10 juin 1967 – et, en même temps, l’une de celles dont les conséquences funestes seront les plus durables.
L’hebdomadaire The Economist a consacré à cette guerre et à ses lendemains – « quarante années de détresse », écrit-il – une analyse et un éditorial d’une belle lucidité. Nous soumettons à votre réflexion, en page 30, les conclusions de notre confrère. Vous apprécierez, je pense, la justesse du propos.

Parce qu’elle a été une éclatante victoire militaire pour les forces israéliennes et une terrible défaite pour les armées arabes, cette guerre a accrédité l’idée, chez les vainqueurs comme chez les vaincus – et dans le reste du monde – qu’Israël (dont les armées l’avaient déjà emporté sur celles de ses adversaires en 1948 et en 1956) était plus fort que tous ses ennemis rassemblés, supérieur à eux et, pour tout dire, invincible.
Beaucoup d’Israéliens – pas tous, heureusement – en vinrent à penser que Dieu lui-même guidait l’action de leurs hommes politiques et les pas de leurs généraux, que, de façon plus prosaïque, le soutien résolu d’une diaspora motivée, conjugué avec celui, tout aussi déterminé, de la plus grande des puissances, les dispensait de rechercher l’entente avec leurs voisins.
C’est ainsi qu’Israël, contre l’avis d’hommes proches de lui de l’envergure de Pierre Mendès France et de Nahum Goldman, pour ne citer qu’eux, s’installa dans la position de puissance occupante, administrant des territoires trois fois plus grands que le sien.

la suite après cette publicité

Traumatisés par leur défaite, ses adversaires arabes se murèrent de leur côté dans le fameux triple refus énoncé en août de la même année, depuis Khartoum, par leurs dirigeants, toujours aveugles, désunis mais unanimes : « Pas de reconnaissance (d’Israël), pas de négociation, pas de paix. »
Les conditions étaient réunies pour les « quarante années de détresse » dans lesquelles allait sombrer la région.
À ce stade de l’analyse, je voudrais tordre le cou à deux contre-vérités – ou à deux illusions – qui ont empêché la recherche résolue d’une solution autre que militaire à ce conflit.

1. Première contre-vérité/illusion
– Israël a gagné toutes ses guerres contre ses voisins arabes coalisés contre lui, bien qu’ils aient bénéficié du soutien conjugué des autres pays arabes et musulmans, de l’URSS et d’une partie du Tiers Monde.
– L’outil militaire dont il s’est doté et son alliance indéfectible avec les États-Unis lui assurent une supériorité militaire qualitative et quantitative – et, par conséquent, lui garantissent de gagner toute guerre dans laquelle il se trouverait engagé.
Depuis ce fatidique mois de juin 1967, les Israéliens et, avec eux, le monde entier se sont laissé intoxiquer par cette idée que la supériorité militaire absolue d’Israël le rendait invincible et, de ce fait, inattaquable.

Devenue la « pensée unique » d’une génération, cette idée reçue n’a été remise en question que tout récemment : on s’est aperçu, en examinant de plus près le déroulement des quatre principales guerres israélo-arabes (1948, 1956, 1967, 1973), qu’Israël n’en a gagné indiscutablement que deux, celles de 1956 et de 1967 – et seulement parce qu’il en a pris l’initiative et a fait jouer à plein l’effet de surprise.
En 1973, c’est lui qui a été surpris : son armée a vacillé, ses généraux ont connu le désarroi, voire la panique, et n’ont repris le dessus que tardivement et difficilement, avec un sérieux coup de main américain.
Les deux invasions par Israël du Liban (1982 et 2006) n’ont pas été couronnées de succès et les guerres d’usure entre Israël et l’un ou l’autre de ses voisins se sont conclues en sa défaveur ou par un match nul.

C’est la dernière guerre du Liban dont Israël, provoqué par le Hezbollah, a pris l’initiative, le 12 juillet dernier, qui a conduit les analystes israéliens à un réexamen douloureux mais salutaire : « Depuis la guerre d’usure (entre l’Égypte et Israël), il y a trois décennies et demie, les forces israéliennes n’ont connu aucune victoire indiscutable contre les armées arabes, ni en termes de gains militaires, ni en termes de coût et de pertes », écrit le commentateur Amir Oren (Haaretz du 10 avril 2007).
Trois conclusions : le conflit entre Israël et ses voisins n’a pas de solution militaire ; quelles que soient sa puissance et sa supériorité technologique, l’État hébreu ne peut se maintenir indéfiniment comme puissance occupante, ni a fortiori annexer les territoires qu’il a occupés en 1967.
– Le « Grand Israël », qu’une partie de ses dirigeants s’est trop longtemps entêtée à croire possible, ne l’est pas.
– La création d’un État palestinien à laquelle il s’est enfin résigné implique le démantèlement de la plupart des colonies implantées en Cisjordanie par ses gouvernements successifs, de gauche comme de droite (avec l’acquiescement américain), depuis la maléfique victoire de juin 1967, il y a quarante ans.

la suite après cette publicité

2. Deuxième série de contre-vérités/illusions
Vis-à-vis du problème que leur pose Israël depuis plus d’un demi-siècle, les Arabes, eux aussi, se sont enfermés dans le cercle vicieux d’une « pensée unique » qui a fait obstacle à la recherche d’une solution. Ils pensent et disent :
– nous sommes les victimes collatérales de l’antisémitisme européen et de son paroxysme hitlérien, l’Holocauste de 1939-1945 ;
– le monde euro-américain et ses institutions sont favorables aux Juifs, tout-puissants, hostiles aux Arabes et aux musulmans, mal-aimés ;
– mais, fort heureusement, le temps et la démographie sont de notre côté et, tôt ou tard, comme les croisés il y a dix siècles, les nouveaux envahisseurs de nos terres seront contraints au départ.

On a appelé cela « le refus arabe » (d’Israël) ; il a été constant et général jusqu’à la visite surprise à Jérusalem du président égyptien Anouar el-Sadate, chef du camp arabe.
En 1977, il y a trente ans, Sadate a ainsi donné le premier grand coup de pioche dans ce barrage qui ne cessera plus de se délabrer.
En 2002, ce sont les vingt-deux pays arabes qui baissent les bras ensemble : ils proposent à Israël la reconnaissance, la négociation et la paix, très exactement le contraire de ce qu’ils professaient en 1967.
Ignorée alors par Israël, renouvelée par ses auteurs en 2007, la proposition a été, cette fois-ci, prise en considération par les dirigeants israéliens – mais sans enthousiasme.

la suite après cette publicité

1967-2007 : il aura fallu quarante ans à Israël pour se dégriser, et à ses adversaires arabes pour sortir de leur irréalisme.
Il leur reste à accomplir le pas décisif : passer aux actes, rien de moins.
La proposition unanime du Sommet arabe de 2002, confirmée en 2007, promet « une paix pleine et entière entre tous les pays arabes et Israël si ce dernier se retire sur ses frontières de 1967 et si une solution juste est trouvée pour les réfugiés palestiniens ».
Elle ne fait que reprendre et endosser les propositions du président américain Bill Clinton (décembre 2000), elles-mêmes confirmées à Taba (janvier 2001) et réaffirmées par « l’initiative de Genève » (novembre 2003).

Il ne fait aucun doute que le conflit israélo-arabe a trouvé sa solution au début de cette décennie.
Connu de tous, soutenu par les principaux dirigeants du monde, approuvé par une majorité d’Israéliens et de Juifs, de Palestiniens, d’Arabes et de musulmans, ce compromis historique attend qu’il se trouve, en même temps, chez les uns et chez les autres – mais aussi en Europe et aux États-Unis -, les hommes d’État assez courageux pour le transcrire dans les faits.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires