Chance ou fatalité ?

Publié le 3 juin 2007 Lecture : 4 minutes.

A la suite de l’interview du président Amadou Toumani Touré publiée dans notre édition du 13 mai dernier (J.A. n° 2418), nous avons reçu de Mohamed Ky, lecteur résidant à Accra (Ghana), cette réaction pleine de colère et d’indignation :

« Je vous écris pour réagir à l’interview du président du Mali, et dans laquelle il déclare notamment : L’immigration n’est pas seulement un problème. Pour un pays comme le Mali, c’est aussi une chance. De tels propos ne peuvent que susciter l’indignation, d’autant que ce n’est pas la première fois qu’ATT désigne l’immigration de Maliens comme une chance. Le chef de l’État malien et son homologue sénégalais, Abdoulaye Wade, considèrent l’exode des forces vives et des jeunes de leurs pays vers l’Occident comme une chance. Ils créent même des ministères pour encadrer ce phénomène humiliant pour tout Africain. Au lieu de s’efforcer de créer des emplois et de trouver des solutions aux défis socio-économiques, ces leaders choisissent la solution de facilité, celle qui consiste à exporter leurs problèmes chez les autres et à jouir des transferts de fonds des expatriés. Il est consternant de voir des chefs d’État se féliciter du fait que leurs jeunes aillent balayer les rues des capitales européennes ou travailler comme des bêtes de somme dans des exploitations agricoles espagnoles. Honte au Mali et au Sénégal de se targuer d’avoir fait des transferts des expatriés leur deuxième ou troisième source de revenus ! Quel beau programme économique : Élisez-moi, et je vous promets d’encourager vos enfants et vos frères à devenir éboueurs à Turin.
Si Wade et ATT n’ont pas d’autres solutions à offrir aux problèmes de développement de leurs pays, qu’ils aient au moins la décence de ne pas être fier de cette faillite honteuse de l’Afrique. Bien cordialement. »

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Cher Mohamed Ky, au-delà de la condamnation ferme, sans appel et, peut-être, un peu rapide de certains dirigeants du continent, dont les présidents du Mali et du Sénégal, accusés de mettre en avant l’émigration comme un des aspects de la réussite de leur politique, votre lettre pose une question pertinente : l’émigration est-elle une vraie ou une fausse solution au problème du développement ? Est-elle une chance réelle ou un handicap ? Une bonne réponse aux difficultés économiques ou un moyen pratique pour nombre de régimes de régler à bon compte leurs problèmes intérieurs ?
Difficile de trancher. Les conditions de vie dans les centres administratifs de rétention ou les scènes d’expulsion dans les halls d’aéroport ou les vols à destination de Bamako, Dakar ou ailleurs sont proprement insoutenables. Tout comme l’est le spectacle, si l’on ose dire, de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants recueillis à moitié morts sur les plages de Sicile ou d’Espagne et dont les visages chiffonnés, les mines défaites et les regards absents disent toute la détresse. Et, surtout, toute la misère de leur vie qui leur a fait tenir tête aux pièges de l’océan pour rester accrochés à l’eldorado de l’exil. Rien ne semble pouvoir les dissuader. Ni le récit des malheurs d’autres candidats au départ. Ni l’écho du sentiment de rejet dont sont victimes leurs compatriotes régulièrement installés en Europe. Une Europe qui ne veut plus d’eux et n’hésite plus à le dire haut et fort.

Le phénomène n’est pas nouveau. De l’odyssée des Irlandais vers l’Amérique aux boat people perdus dans la mer de Chine, en passant par les balseros de Cuba, Saint-Domingue ou Haïti échoués sur les côtes de Floride, l’Histoire regorge de ces fortunes de mer, de cette masse de petites gens de l’émigration mais aussi de ces incontestables success stories qui en sont parfois la trame.
Le débat remonte à très loin. Mais, aujourd’hui, des images pénibles et des propos irréfléchis de responsables politiques le rendent particulièrement ouvert et d’actualité. Les sentiments y prennent une place qui fait oublier le reste. Notamment qu’en matière de développement sinon en termes d’image, les émigrés demeurent utiles à leurs pays d’origine. Le Cap-Vert doit en partie à ses enfants expatriés de quitter son statut de pays pauvre pour accéder à celui de pays à revenus intermédiaires. Forages, écoles ou dispensaires des villages de l’arrière-pays de Kayes sont souvent le fait de Maliens de l’extérieur. Idem dans certaines localités sénégalaises de la vallée du fleuve.
Pedro Pires, ATT ou Abdoulaye Wade ne peuvent empêcher les candidats au départ de rejoindre leurs frères exilés – que n’aurait-on d’ailleurs dit s’ils en manifestaient la velléité ? Ils ne peuvent pas, non plus, obtenir des pays d’accueil qu’ils leur ouvrent les bras. Ils ont en revanche l’obligation morale de ne pas les encourager à partir. S’y attelleront-ils ?

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