Ziguélé, la panthère de Paoua

Publié le 3 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

Il y a un mystère Ziguélé. Comment cet homme parti de rien et candidat à une élection pour la première fois de sa vie est-il parvenu à obtenir 23,5 % des voix, à doubler de vieux routiers comme André Kolingba (16,3 %) et à mettre en ballottage le président sortant François Bozizé (42,9 %) ? Bien sûr, le dernier Premier ministre d’Ange-Félix Patassé – de 2001 à 2003 – a bénéficié de la machine électorale du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), le parti le mieux structuré du pays. Mais, au départ, le candidat Ziguélé, 48 ans, partait avec un gros handicap. Depuis son exil de Lomé au Togo, Ange-Félix Patassé, le chef de l’État déchu, criait à la trahison et envoyait son camarade de parti en enfer. Il faut donc chercher l’explication ailleurs.
« La première chose qui m’a frappé, c’est sa jovialité », dit l’un de ses anciens condisciples à l’université de Bangui. Toujours le sourire aux lèvres, Martin Ziguélé est chaleureux. Marié et père de six enfants, ce natif de Paoua, dans le Nord – le fief du MLPC – inspire confiance. Sans doute est-ce grâce à cette rondeur qu’il a été préféré aux faucons pour porter les couleurs du parti à la présidentielle. Pendant la campagne du premier tour, il a cultivé l’image du bon père de famille. « Il a travaillé dans les assurances, et c’est un bon gestionnaire », disent certains à Bangui. Comment ne pas faire confiance à un assureur ?
Mais la clé du mystère Ziguélé est peut-être encore ailleurs. À Yaoundé, en 1976. Un jour, le jeune Ziguélé, 19 ans, y rencontre pour la première fois l’homme qui va façonner son destin. Un certain Ahmadou Kourouma. Le célèbre écrivain ivoirien dirige alors l’Institut international des assurances. « J’avais lu Les Soleils des indépendances pour le bac et, bien sûr, j’étais en admiration devant lui », se souvient Ziguélé. Le maître et le disciple se côtoient pendant deux ans et apprennent à se connaître. En 1988, ils se retrouvent à Lomé. Ahmadou Kourouma est à la tête de la CICA-RE (Compagnie commune de réassurance des États membres de la Conférence internationale des contrôles d’assurance), c’est-à-dire la compagnie d’assurance de tous les pays de la zone franc.
Une vraie complicité se crée. « Il était comme un père pour moi. C’est à lui que je dois les taches sur ma peau de panthère. Et il était très gentil. Quelquefois, il me demandait de l’aider à rédiger ses discours… professionnels, s’entend ! », sourit avec amusement Ziguélé. Le vieux lion de Boundiali, dans le nord de la Côte d’Ivoire, apprend à la jeune panthère de Paoua la rigueur des chiffres et la clarté des comptes. « Il n’aimait pas l’à-peu-près. Il était révolté par les ravages du fétichisme et du tribalisme en Afrique. Il m’en parlait souvent », indique l’ancien disciple. La littérature ? « Il en parlait très peu. Quelquefois, il évoquait une recherche sur tel ou tel sujet, et hop ! aussitôt, il revenait à son métier d’assureur. »
La botte secrète de Ziguélé se trouve peut-être là. Comme son maître, il s’est constitué un jardin secret. Il a appris à se protéger. Qu’est-ce qui se cache derrière ce visage avenant ? Après douze longues années à Lomé, et un bref passage à la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC), l’homme est projeté soudain dans l’arène politique en 2001, au poste de Premier ministre. Il obtient un petit succès en septembre 2002, quand le Fonds monétaire international (FMI) signe une promesse d’accord. Mais le mois suivant, tout est remis en question par la guerre. Puis c’est la chute, le 15 mars 2003, le refuge à l’ambassade de France à Bangui. Et l’exil en France pendant près de deux ans. « J’ai beaucoup appris sur la vie ces derniers temps. Avant, c’est vrai, j’étais peut-être un peu trop gentil. Mais depuis deux ans, j’ai vécu un chemin de croix, avec les trahisons et les bagarres au couteau au sein du parti. Croyez-moi, on apprend vite ! » confie le challenger de Bozizé. « Un jour, Kourouma m’a dit : « Tu devrais écrire ». Je ne l’ai jamais fait, mais j’y pense de plus en plus. »
Pour l’instant, le candidat Ziguélé n’a pas vraiment le temps de taquiner la muse. D’autant que son retard de vingt points sur le président sortant paraît presque impossible à rattraper. Au premier tour, le camp Bozizé a montré sa force. De bons scores dans le fief du Nord, mais aussi dans le Sud, chez les anciens électeurs de David Dacko, et à Bangui. « Grâce à la fraude sur les bulletins précachetés », disent ses adversaires. Face à l’éléphant Bozizé, la panthère Ziguélé n’a plus qu’une option : négocier le soutien d’André Kolingba et de Jean-Paul Ngoupandé (5 %). Certes tous les trois ont lutté ensemble contre Bozizé en janvier dernier pour la validation de tous les candidats à la présidentielle. Mais à Bangui, les changements d’alliance sont monnaie courante, et, aujourd’hui, le chef de l’État sortant essaie de retourner Kolingba. Avec un argument simple : « Ziguélé est le clone de Patassé. Vous ne pouvez pas appeler à voter pour celui qui a laissé tuer vos frères et fait mettre votre tête à prix en 2001 ! » Le 25 mars, Bozizé s’est même rendu chez André Kolingba, au bord du fleuve Oubangui. Officiellement pour déplorer un échange de tirs devant le domicile de l’ancien chef de l’État. Et il y a des petits gestes qui ne s’oublient pas…
Pour contrer la manoeuvre, Ziguélé joue la « rupture » avec l’époque Patassé. « Une rupture avec les clivages ethniques et la démagogie, précise-t-il. L’histoire a montré que lorsque le MLPC gouverne seul, le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC) de Kolingba le combat. Et vice versa. Pour en finir avec cette guerre civile, il faut que nos deux partis se mettent ensemble dans une grande alliance Nord-Sud », lance le candidat du MLPC. La campagne du premier tour a révélé combien le traumatisme des années Patassé est resté profond. Personne n’a oublié les promesses non tenues et les milices parallèles, qui ont débouché sur une « guerre de sept ans ».
Alors une question est sur toutes les lèvres à Bangui : « Si Ziguélé gagne, laissera-t-il rentrer Patassé ? » Ziguélé a senti le piège. Fini les déclarations favorables au retour de son ancien patron (voir J.A.I. n° 2303). Aujourd’hui, il lâche : « On ne pourra trancher ce problème qu’en concertation avec les autres partis centrafricains et les pays de la sous-région. » Autant dire que le retour de « l’ex » est remis aux calendes grecques, et que l’intéressé doit commencer à bouillir d’impatience dans sa villa de Lomé… « Ce deuxième tour, ce sera David contre Goliath », dit Ziguélé avec gourmandise. En attendant, au MLPC, on joue plutôt une autre histoire, où il est question d’un fils qui tue son père…

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