Tempête dans un verre d’eau

Publié le 3 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

La méthode a déjà fait cent fois ses preuves, quand un enquêteur a lancé ses filets en eau trouble et qu’on sent qu’il a réussi à emprisonner un « gros poisson » dans ses mailles. Les requins accourent pour la curée. Quelles que soient les preuves ultérieurement réunies par le faux coupable d’un jour pour attester de son innocence, les conclusions de l’instruction et le verdict du procès, la personnalité compromise restera à jamais marquée par les stigmates de l’infamie. Ainsi le scandale « Pétrole contre nourriture » (le programme mis en oeuvre par les Nations unies en Irak de 1996 à 2003) et les graves irrégularités révélées dans l’attribution des marchés par des fonctionnaires internationaux manifestement corrompus sont-ils aussitôt devenus « l’affaire Kofi Annan ». Grâce au zèle de l’administration de George W. Bush, qui n’aurait sans doute pas été fâchée de voir jeté le secrétaire général avec l’eau du bain onusien !
L’astuce consiste à disséminer les rumeurs et les soupçons impliquant la cible visée avant que l’analyse des faits collectés par les enquêteurs lui permette de se disculper, tandis que son propre statut lui interdit de contre-attaquer. Pendant toute la durée des investigations, le temps a donc joué contre le chef des Nations unies.

Ainsi le public aura-t-il pris l’habitude de voir s’étaler à la une des journaux le nom d’« Annan, un Ghanéen divorcé de 66 ans à qui pourrait bientôt succéder l’ancien président tchèque Vaclav Havel », sous son portrait exhibé dans la presse comme celui d’un vulgaire délinquant traqué par les flashs des photographes à l’heure de son incarcération, avec sa fiche anthropométrique attachée au cou. On a multiplié à son sujet, sans plus de précisions, les allusions aux « critiques » (qui sont-ils, ceux-là, sinon les auteurs prudents de diffamations non étayées ?) qui « envisagent toutes les hypothèses ». On a interrogé le secrétaire général, lui-même choqué par l’ampleur des malversations commises à son insu, abasourdi par la violence des accusations portées contre lui, indigné par le comportement de son fils et la trahison de ses proches, sur les modalités de sa prochaine démission. Et la meute des républicains, lancée par le Wall Street Journal, s’est ingéniée à multiplier les citations de son patronyme, favorisant une contamination née de l’amalgame : c’est le nom d’Annan, pour le lecteur pressé, qui revient à chaque ligne de ce déplorable dossier, même si c’est Kojo, le fils, et non Kofi, qui a été « mouillé » dans une affaire connexe.

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Aujourd’hui, les choses ont enfin été clarifiées. Kofi Annan se trouve exonéré de toute faute personnelle. À aucun moment, il n’a interféré personnellement dans le choix des entreprises concernées par le programme « Pétrole contre nourriture ». Il lui est seulement reproché de s’être un peu vite satisfait des conclusions d’une enquête qu’il avait lui-même suscitée sur un risque de conflit d’intérêts concernant son fils Kojo, du fait de la présence de ce dernier dans la Cotecna, une société suisse éligible à l’appel d’offres lancé par les Nations unies pour contrôler l’exécution des contrats d’aide humanitaire passés avec l’Irak. Alors qu’il est de notoriété publique que le « carnet d’adresses » occupe une place de choix dans le recrutement des cadres, on comprendrait mal pourquoi Kojo Annan se serait vu privé d’un emploi – pas même fictif ! – pour avoir fait valoir le sien.

Mais le « deuxième rapport intérimaire » de la commission indépendante présidée par l’ancien président de la Réserve fédérale Paul Volcker, qui a ajouté, le 29 mars dernier, ses 200 pages de notes et de documents au premier rapport (encore plus volumineux) publié le 3 février, n’a bien sûr pas les charmes de l’insinuation perfide ni le ton de la polémique. Et il s’adresse à un public bien plus restreint, avec des protagonistes, qui ne passeront certes pas à la postérité. Il n’en contraindra pas moins l’administration américaine à tourner ses canons vers les vrais coupables, en laissant au secrétaire général de l’ONU toute l’autorité qui lui sera nécessaire pour procéder au nettoyage et aux réformes de l’organisation qu’il appelle de ses voeux. Sans oublier la correction qu’il doit désormais à son fils pour l’avoir surpris trop tard la main dans le pot de confiture !

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