Portrait-robot d’un djihadiste

Les auteurs des attentats les plus meurtriers sont presque tous des étrangers. Parmi eux, une large majorité de jeunes Saoudiens bien éduqués.

Publié le 3 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

Les capacités opérationnelles du Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, le chef d’al-Qaïda en Mésopotamie, sont franchement effrayantes. Avec une moyenne de deux attentats-suicides par jour, il n’a manifestement aucun souci de recrutement. Et quand bien même en aurait-il qu’il pourrait compter sur les renforts que Salah al-Aoufi, son alter ego pour l’Arabie saoudite, est tout disposé à lui envoyer, à en croire le message qu’il a diffusé sur Internet, le 16 mars.
En Irak, près de deux kamikazes sur trois sont de nationalité saoudienne, soit presque la même proportion que lors des attentats du 11 septembre 2001 (80 %). Ce chiffre découle d’une enquête réalisée par le chercheur israélien Reuven Paz, qui a analysé les communiqués diffusés sur les sites djihadistes pour revendiquer telle ou telle attaque et glorifier ses auteurs. Le Pentagone, qui ne cesse d’accuser la Syrie de surveiller trop négligemment sa frontière, voire de laisser volontairement passer les candidats au martyre, se trompe donc assez largement de cible : seuls 10,4 % des attentats-suicides perpétrés en Irak ont pour auteurs des Syriens. Quant aux Irakiens eux-mêmes, ils n’occupent que la troisième marche de ce sinistre podium (8,4 %). Tous ne sont d’ailleurs pas des hommes de Zarqaoui. De nombreux attentats-suicides sont en effet l’oeuvre de la résistance, qui prend exclusivement pour cible les convois militaires de la coalition et de ses supplétifs irakiens.
Selon l’étude de Reuven Paz, la majorité des kamikazes saoudiens est originaire de la région du Najd. Et principalement de Riyad. Ils ont entre 25 ans et 30 ans, ont pour la plupart fréquenté l’université et laissent derrière eux des femmes et des enfants. Beaucoup sont issus de familles aisées et appartiennent à de puissantes tribus qui comptent de nombreux représentants dans les hautes sphères du pouvoir saoudien. Trop jeunes pour être passées par les camps d’entraînement d’Afghanistan, ces recrues n’ont nul besoin d’une formation militaire particulière. Pour ce qu’ils ont à faire, leur détermination suffit largement. Reste à savoir comment – et par qui – ils sont enrôlés dans le djihad.
Essentiellement par un réseau de mosquées où des recruteurs salafistes opèrent au grand jour. Les salafistes, qui rêvent de restaurer l’islam des origines, s’inspirent du wahhabisme, une forme particulièrement rigoriste de la religion musulmane propagée, au siècle dernier, par les Al Saoud, la dynastie régnante. Ce qui ne les empêche pas d’être en conflit ouvert avec cette dernière, qu’ils accusent aujourd’hui de trahison. Confrontés à une insurrection salafiste, les princes saoudiens peuvent difficilement décider de fermer les mosquées rebelles sans déclencher une révolte populaire et remettre en question leur légitimité. Avec un minimum de prudence, n’importe quel groupe radical peut donc mener ses activités sans être inquiété. D’autant que la réputation d’efficacité des services saoudiens est quelque peu surfaite. Le retour sur le devant de la scène de Salah al-Aoufi, dont le ministère de l’Intérieur avait annoncé l’élimination en novembre 2004, en est l’illustration.
Les candidats au martyre sont conduits en Irak par voie terrestre. Pour leur permettre de franchir sans encombres les frontières, une véritable industrie spécialisée dans la fabrication de faux papiers a été mise en place. Partant le plus souvent d’Arabie saoudite, ils transitent par le Koweït, la Syrie, l’Iran et, surtout, la Jordanie. La plupart des pays frontaliers de l’Irak comptant d’importantes communautés chiites, le pèlerinage de Karbala et de Nadjaf (les Lieux saints du chiisme) est souvent mis à profit pour infiltrer des terroristes. Le poste de Khaniqine, à la frontière avec l’Iran, est parfois utilisé. Il présente l’avantage d’être proche à la fois de Bagdad (moins de 200 km) et de Baaqouba, un autre fief de l’insurrection.
Pour ne pas éveiller les soupçons, les futurs kamikazes se déplacent généralement en famille, la leur ou une famille d’emprunt. À leur arrivée, ils sont pris en charge par les « Irakiens de Zarqaoui » – autrement dit, les membres d’Ansar Es-Sunna, un groupe affilié à la nébuleuse al-Qaïda apparu il y a quelques années au Kurdistan irakien. L’organisation est verticale. Les candidats au suicide ne rencontrent jamais ni les combattants ni les militants chargés d’identifier les cibles. Les opérations stratégiques sont décidées par l’entourage de Zarqaoui, essentiellement composé de Jordaniens qui l’accompagnent depuis des années dans ses pérégrinations à travers l’Afghanistan, la Syrie et le Kurdistan. Le choix des cibles dépend du travail des Khalaya et-tadjassous, les cellules de renseignements, composées exclusivement d’Irakiens, plus aptes que les autres à se fondre dans la foule. Les opérations « stratégiques », celles qui visent les chiites irakiens, sont le plus souvent préparées et exécutées par des étrangers, par crainte d’éventuelles défections. D’où l’utilité des vrais-faux pèlerins.
Il est rare que des Maghrébins participent à des attaques-suicides. En revanche, des combattants d’origine maghrébine opèrent au sein de divers groupes armés à Fallouja et Habaniya, où se trouve le principal aéroport militaire de la coalition. Ils sont presque toujours issus de communautés musulmanes installées en Europe.
« Les Arabes hors d’Irak ! » Ce slogan quelque peu incongru – il vise évidemment les non-Irakiens membres d’al-Qaïda – fait florès dans les manifestations antijordaniennes qui se multiplient actuellement à Bagdad et dans la plupart des grandes villes d’Irak. La raison de cet accès de colère ? L’auteur de l’attentat contre la mosquée de Hilla, le 28 février (près de 120 morts), serait un certain Raëd al-Banna, un Jordanien de 27 ans originaire de la ville de Salt. Plus grave encore aux yeux des Irakiens, la famille du kamikaze présumé aurait fêté l’événement en organisant une cérémonie à la « mémoire de son martyr ». Le gouvernement et l’état-major de la coalition se montrant incapables d’en finir avec le terrorisme, la rue irakienne croit avoir trouvé la solution : empêcher les « Arabes » de pénétrer en Irak. Il est vrai que la chose est plus facile à dire qu’à faire…

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