Massacres à huis clos
Jan Egeland, le secrétaire général adjoint des Nations unies aux Affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence, n’en revient pas. « Il est incroyable que nous ne considérions pas comme aiguë et intolérable la crise qui sévit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). C’est la pire situation humanitaire au monde », a-t-il déclaré, le 16 mars à Kinshasa, à l’occasion de la publication de son dernier rapport.
Effectivement, rien ni personne ne semble en mesure d’enrayer la violence en Ituri. En dépit de la présence des Casques bleus de la Mission des Nations unies en RDC (Monuc), des dizaines de milliers de personnes meurent chaque mois des causes d’un conflit larvé, mettant en scène une vingtaine de groupes armés. Alors que la guerre est officiellement terminée depuis 2002, avec la mise en place du gouvernement de transition, trois millions de Congolais, pris au piège de ces combats entre factions rivales, ont besoin d’une assistance quotidienne en matière de vivres, de médicaments et d’eau potable.
Les différents rapports de la Monuc et ceux des antennes locales du Bureau de la coordination des Affaires humanitaires (Ocha) sont plus scandaleux les uns que les autres en ce qu’ils révèlent de l’incroyable sauvagerie qui règne dans l’Ituri et, plus largement encore, au Kivu (Est) et même au Katanga (Sud). La mort des neuf Casques bleus bangladais, tués le 25 février dernier dans une embuscade, fait figure d’anecdote, comparée aux atrocités commises contre les populations civiles. Outre les nombreux enlèvements d’enfants, l’esclavage à des fins domestiques ou sexuelles, les décapitations, mutilations et tortures, la Monuc fait état de plusieurs actes de cannibalisme.
Le cas de Zainabo Alfani est en passe de devenir emblématique des horreurs quotidiennes qui se déroulent dans la région. Cette femme de 42 ans, commerçante à Kisangani (Nord), a été capturée le 5 juin 2003 sur la route de Bunia (Est). Recueillie par plusieurs ONG et soignée successivement à Bunia, Bujumbura (Burundi) et Bukavu (Est), elle est décédée le 11 mars 2005 à l’hôpital de Kinshasa, non sans avoir témoigné de son cauchemar devant des représentants de la Monuc. Le car à bord duquel elle était montée avec trois de ses enfants a été stoppé en pleine forêt. Mutilée et gravement blessée aux membres, aux parties génitales et au ventre, elle a vu ses tortionnaires manger, devant elle, des morceaux de sa propre chair. Conduite ensuite dans un camp, à l’intérieur de ce qui semblait être une cuisine, elle y découvrira des ossements humains et, plus loin, un corps empalé sur une broche, en train de cuire. Ses deux fillettes, âgées de 10 et 8 ans, seront plongées vivantes dans de grands fûts d’huile et d’eau, posés sur des feux de bois. Seul le petit Yacine, 6 mois au moment des faits, sera épargné.
Ces mots ont été difficiles et à prononcer, et à entendre, mais Egeland tenait à marquer les esprits. Le général néerlandais Patrick Cammaert, chef de l’état-major de la division est de la Monuc, a eu beau assurer que tout serait entrepris pour désarmer les factions, capturer les chefs et les traduire devant la justice internationale, ses paroles ont semblé bien dérisoires. La tragédie de la RDC ne se mesure pas, comme au Darfour, en termes de déplacés – leur nombre est, en effet, largement inférieur à celui du Soudan -, mais en nombre de morts et au degré d’intensité dans la violence.
Les spécialistes s’interrogent sur les motivations qui animent les belligérants. Culture de la guerre et assurance de l’impunité ? Enclavement et sentiment d’être abandonnés par Kinshasa ? Pour l’heure, la Monuc intensifie le processus de désarmement, tout en pourchassant de plus belle les chefs de faction. Leurs efforts commencent à porter leurs fruits puisque Thomas Lubanga, leader de l’Union des patriotes congolais (UPC), actif dans le nord de l’Ituri, a été arrêté le 22 mars. Il a rejoint Floribert Ndjabu Ngabu, chef du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI), en prison depuis le 1er mars, ainsi que ses lieutenants, Goda Sukpa et Germain Katanga. Par ailleurs, 550 combattants de la région de Aru (nord-est de l’Ituri) ont rendu leurs armes, sur les 4 000 répertoriés.
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