L’épreuve de force

Au risque de mettre le feu aux poudres, le pouvoir a jeté en prison cinq des dirigeants de la Coalition contre la vie chère, déterminée à dénoncer la hausse des prix.

Publié le 3 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

« Complot contre la sûreté de l’État », « provocation d’attroupement armé », « participation et administration d’une association non déclarée »… Avec de telles charges, le pouvoir n’y est pas allé de main morte pour tenter de mater les cinq leaders de la Coalition contre la vie chère, un mouvement de protestation sociale créé en janvier par les principales associations de consommateurs et les syndicats nigériens pour dénoncer la hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 19 %. Interpellés entre le 25 et le 27 mars, les cinq contestataires sont désormais derrière les barreaux. On leur reproche surtout d’avoir lancé, le 24 mars, des appels à la prière visant « à renverser le régime constitutionnel », selon les autorités. Ce que réfutent, bien sûr, les intéressés, qui disent avoir invité les musulmans et les chrétiens à « implorer Dieu afin qu’Il atténue les souffrances du peuple nigérien ».
Parmi les prévenus, Nouhou Arzika, le président de la Coalition. Déjà incarcéré durant trois jours à la suite de la manifestation du 15 mars lors de laquelle des dizaines de milliers de personnes avaient défilé dans les rues de Niamey, c’est un militant de la première heure et un habitué des affrontements avec les forces de l’ordre depuis qu’il a été chef de file de l’Entente des étudiants de Niamey en 1991. Idem pour Morou Amadou, président de Croisade, une ONG de défense des droits de l’homme, arrêté le même jour. Lui aussi est une des figures du mouvement étudiant qui, au début des années 1990, a contribué à la tenue d’une conférence nationale et au départ du chef de l’État, le colonel Ali Saïbou.
Issa Kassoum, secrétaire général du Syndicat national des enseignants du Niger (Snen), la principale centrale du pays, et Moussa Tchangari, interpellés les 26 et 27 mars, sont eux aussi des militants connus des forces de police. Ce dernier, philosophe de formation et journaliste, est à la tête de l’Association alternative espace citoyen, très engagée sur le front social. Il est de toutes les manifestations. Quant à Moustapha Kadi, le cinquième détenu, il fait figure de novice parmi ses camarades. Ingénieur statisticien, il dirige SOS Kandadji, une association de défense des consommateurs créée il y a quelques années pour appuyer la construction du barrage hydroélectrique de Kandadji sur le fleuve Niger – un projet toujours à l’étude – qui permettrait de réduire le coût de l’énergie.
Le gouvernement avait d’abord choisi de faire la sourde oreille – ou presque – aux revendications de la Coalition. À Paris, le 22 mars, le Premier ministre Hama Amadou déclarait du bout des lèvres être prêt à ouvrir le dialogue. Le lendemain, la police était aux trousses des manifestants. Sans grands résultats. Le 30 mars, la Coalition a appelé à une deuxième journée « Ville morte ». Comme celle du 22 mars, elle a été très bien suivie à Niamey et à Zinder. Taxis et bus à l’arrêt, écoles désertes, administration aux abonnés absents, marchés fermés… Deux des plus grandes villes du pays ont été paralysées. Le mouvement a même atteint Maradi, la capitale économique. « Ce ne sont pas ces interpellations qui vont nous freiner, assène Issoufou Sidibé, secrétaire général de la Confédération démocratique des travailleurs du Niger (CDTN) et l’un des derniers leaders de la Coalition encore en liberté. Le combat continue. Le peuple contient sa colère depuis trop longtemps. Cette fois-ci, c’est le cri du ventre ! Début janvier déjà, nous avons mis en garde le gouvernement contre les effets dévastateurs de la hausse de la TVA. Il n’a rien voulu entendre. Le peuple nigérien est en situation de légitime défense. La loi rectificative de finances 2005 doit être abrogée. »
Votée le 4 janvier par l’Assemblée nationale, cette loi étend la TVA à plusieurs produits de base jusqu’alors exonérés : lait, thé, sucre, farine, huile alimentaire… (voir J.A.I. n° 2307). Mais ces nouvelles dispositions se sont accompagnées d’une flambée des prix générale due à la spéculation et aggravée par la très mauvaise campagne agricole 2004-2005. Les prix du mil et du riz ont augmenté de près de 50 %. Il n’en fallait pas davantage pour mettre le feu aux poudres dans un pays où le pouvoir d’achat des populations n’a cessé de chuter depuis une dizaine d’années. La Coalition a accepté de rencontrer Hama Amadou le 1er avril en présence de représentants des commerçants et du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme. Même si elle entend toujours soumettre toute négociation avec le gouvernement à la libération de ses leaders. Ces derniers sont dispersés dans cinq lieux de détention différents, dont certains dits de haute sécurité, situés à 50 km, voire 100 km de la capitale, et encourent des peines comprises entre dix et vingt ans de prison. Mais personne n’est dupe. « Ces arrestations et ces charges n’ont aucun sens », déplorent leurs avocats, Mes Omarou Souleye et Moussa Coulibaly. « Je n’ai jamais lu dans un code de droit que l’appel à la prière était un élément constitutif d’une infraction criminelle, ironise ce dernier. Et encore moins dans une République laïque comme le Niger. On renverse un régime avec des armes, pas avec des prières ! » Pour les avocats, leurs clients sont des « prisonniers politiques ». « La veille de leur incarcération, le juge leur a proposé de les mettre en liberté provisoire à condition qu’ils ne fassent plus aucune déclaration publique. Ils ont refusé, on les a emprisonnés. La justice a abdiqué devant le pouvoir », s’inquiètent-ils.
En choisissant la manière forte et en renonçant aux méthodes plus ordinaires de gestion des conflits sociaux faites d’atermoiements en tout genre et parfois de dessous-de-table, le Premier ministre fait preuve d’un excès de confiance étonnant, à moins qu’il ne se soit laissé déborder par les plus va-t-en-guerre de son camp. Réaction de panique face à l’ampleur d’une mobilisation populaire que nul, pas même les leaders de la Coalition, ne pouvait prévoir ? Volonté d’étouffer les mécontentements à l’heure où Niamey accueillait le 30 mars le sommet de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa, voir « Ecofinance », pages 76-77 ) ? Refus d’être pris en faute après avoir opté pour une politique fiscale pour le moins contestable ? De l’avis d’un commissaire de l’Uemoa, il existait d’autres moyens, peut-être même plus efficaces, pour augmenter les ressources fiscales de l’État.
Mais comme l’observe un diplomate en poste à Niamey, « le gouvernement a mis de côté les autres options. Et fait passer cette décision en force, sans aucune négociation ni information préalable auprès des opérateurs économiques et de la population. » Cette attitude traduit-elle un malaise au sommet même de l’État ? Un tiraillement au sein du gouvernement ou du parti au pouvoir, le Mouvement national pour la société de développement (MNSD) ? Les partis de l’opposition, eux, se frottent les mains. Ils se sont jusqu’à présent abstenus de soutenir officiellement la Coalition. Mais, comme l’indique Mahamadou Issoufou, leader du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), si la crise perdure ils ne se priveront pas d’entrer dans la danse… (voir page 37).

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