« La Guerre des cotons »

Publié le 3 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

« Le coton est une très vieille histoire, faite de larmes et de sang. Une histoire qui a
presque toujours opposé le Noir et le Blanc. C’est en partie au nom du coton que l’on a arraché des millions d’Africains à leur terre pour aller cultiver les sols de la conquête américaine. Plus tard, en guise de pardon, c’est encore un lopin de coton que l’on a promis aux esclaves libérés. Une promesse non tenue Aujourd’hui, le coton est à nouveau au cur des relations entre l’Afrique et l’Amérique. Et il est toujours question de promesses. Les États-Unis ne devraient plus subventionner leur production, mais ils continuent de le faire »
Pendant que la voix rappelle quelques vérités historiques, la caméra s’arrête sur des femmes noires rassemblées à l’heure du prêche dans une petite église de Louisiane. Car ici aussi le coton, petite boule de douceur, rimait surtout avec douleur. Une fois le premier décor planté, au sud des États-Unis, le commentaire peut entrer dans le vif du sujet : quelque 25 000 producteurs du sud des États-Unis mettent en péril 25 millions d’Africains pour qui l’or blanc est l’unique moyen de subsistance. Nous y voilà : les méchants contre les gentils, les riches contre les pauvres, David contre Goliath
Tout donne à croire que le réalisateur, Jean-Michel Rodrigo, va nous servir quelques clichés éternels. C’est mal connaître ce familier du monde agricole et des problèmes de développement. Sans simplisme, sans vision réductrice, son film, qui a reçu l’appui de France 5 et de TV5, nous plonge au contraire dans les méandres des dernières évolutions
de la filière cotonnière et textile : l’ère de l’industrialisation américaine, le début des subventions, la résistance africaine, la montée en puissance de la Chine,
l’effondrement des filatures occidentales Rodrigo a baladé sa caméra en Afrique, en Chine, aux États-Unis et en France pour saisir les images, prendre le pouls de l’activité,
interroger les grands négociants et les petits paysans. Ceux qui gagnent au mieux 1 dollar par jour, et qui ont du mal à imaginer qu’un gros agriculteur américain puisse
toucher un demi-million de dollars de subvention journalière. Pourtant, les arguments des uns sont toujours confrontés aux idées des autres.
Plus didactique que militant, ce documentaire commence par nous expliquer le déclin de l’agriculture cotonnière américaine, victime elle aussi de la mondialisation. « Nous
sommes toujours des paysans avec des champs à cultiver, du coton à récolter et des usines pour égrener. Ce qui a changé, c’est que pour rester dans la course, on a dû supprimer la main-d’uvre, et on a investi dans la technologie », explique Billy Guthrie Jr, un
agriculteur de Louisiane. Et même avec toute cette technologie, le coton industriel coûte plus cher qu’il ne rapporte. C’est ce qui explique pourquoi Washington déverse encore 3 milliards de dollars par an sur ce secteur. Ce faisant, les Américains restent les maîtres du jeu, et leurs critères de qualité s’imposent aux autres.
Pour les planteurs maliens de Zangasso, c’est injuste et inacceptable. Car eux, ils ne bénéficient d’aucun soutien. Et le coton en Afrique, surtout au Mali, c’est bien plus qu’un simple produit. C’est l’épine dorsale de l’économie. Il finance les routes, les écoles, les hôpitaux, paie les engrais et fertilise les sols, fournit de l’huile aux hommes et à manger aux animaux. Par-dessus tout, il permet de lutter contre le dépeuplement des campagnes.
Autant de bonnes raisons dont les agriculteurs américains n’entendent jamais parler, et qui n’empêcheront pas les spéculations les plus insensées. ne rumeur sur la hausse ou la baisse de la production chinoise, une catastrophe climatique suffisent pour que la tendance en Bourse s’inverse du jour au lendemain. De tels facteurs, l’Afrique est loin de les maîtriser. En ce moment, les prix sont bas. Dramatiquement bas. Des stocks entiers croupissent au soleil en attendant preneur. Et l’Afrique a tant de problèmes à régler.
Celui du transport par exemple. Comment la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) peut-elle évacuer ses balles de coton, alors que le port d’Abidjan, voie habituelle de sortie, est devenu pratiquement inaccessible depuis que la guerre civile a coupé la Côte d’Ivoire en deux ? Une solution : le train. Quatre jours et cinq nuits pour seulement 1500 km de brousse ! Et enfin, alors que l’on ne l’attendait plus, la bonne vieille locomotive du Bamako-Dakar entre gare. Malmené, le coton a perdu en qualité. Et il reste encore à le vendre aux industriels européens, américains ou asiatiques. Car l’Afrique ne transforme qu’une infime partie de son or blanc.
C’est à ce moment que le film nous emmène en Chine. À Ching Tao exactement, principal port de débarquement de la fibre étrangère. Acteur majeur de la filière, la Chine ne lésine pas sur les moyens. Installations portuaires gigantesques, immenses filatures
mécanisées où s’affaire, sous l’il attentif des surveillants, une armée d’ouvrières L’Afrique semble si loin ! Aujourd’hui, les besoins de la Chine représentent près du tiers de la consommation mondiale de coton. Et ils ne cessent d’augmenter. L’entreprise
française Dagris, partenaire historique des producteurs africains, est contrainte de se tourner toujours plus vers ce pays pour vendre sa fibre. Un marché difficile, exigeant, et qu’il convient de ne pas aborder sans une solide préparation. Ainsi coincée entre deux puissances, l’Afrique peutelle encore lutter ? En réalité, elle n’a pas le choix.
Comme le dit Bachir Diop, directeur de l’entreprise sénégalaise Sodefitex : « Plus question de jouer au football avec les pieds seulement quand l’autre équipe joue aussi avec les mains ! » Et Gilles Peltier (Dagris) de mettre en garde: « Si les Africains ne produisent plus de coton, que vont-ils produire ? Des cultures illicites ? Et s’ils ne peuvent plus vivre de leur exploitation, où vont-ils aller? Dans les pays du Nord. » À bon entendeur
C’est sûr, l’Europe serait bien inspirée d’aider plus activement l’Afrique dans son combat, ô combien inégal, contre la première puissance économique de la planète. D’autant que son coton est d’excellente qualité, que les tissus sont beaux, et que ses stylistes
ont du talent. La preuve: la caméra suit alors le mouvement gracieux d’un défilé de mode, quelque part en Afrique. On respire. Une petite note d’espoir dans cet avenir inquiétant.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires