Lendemain d’Annapolis

Publié le 2 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

J’ai cru pouvoir écrire en 1975 dans la revue américaine Foreign Affairs, qui m’avait demandé un article sur le conflit israélo-arabe : « Les Arabes et les Israéliens sont condamnés à la paix » Je n’imaginais pas qu’ils se battraient pendant encore plus de trente ans sans trouver de solution à leur différend.
La conférence d’Annapolis du 27 novembre, convoquée par les États-Unis et à laquelle la plupart des pays arabes ont accepté de participer aux côtés d’Israël, n’est que la dernière tentative pour y parvenir. Un plan de plus
Une bonne vingtaine d’autres l’ont précédée, qui portent les noms de villes ou de personnes, mais toutes n’auront été que des promesses non tenues : Venise, Madrid, Oslo, Camp David I et II, Taba, Initiative de Genève, Plan Roger, Plan Annan, Plan Reagan, Plan Tenet, Rapport Mitchell, Plan saoudien, Feuille de route
Quelles sont les chances d’Annapolis de conduire ses protagonistes à un modus vivendi fondé sur le principe de deux États vivant côte à côte, en paix, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ?
Très faibles, à mon avis, voire nulles. Pour plusieurs raisons qui me paraissent évidentes et dont les effets conjugués ne tarderont pas à se faire sentir.

Les experts impartiaux sont unanimes à l’assurer : depuis une dizaine d’années, la solution du problème israélo-palestinien est connue – et peut être résumée en deux points :
a) un règlement territorial sur la base des frontières de 1967, ce qui implique le démantèlement des colonies installées par Israël en Cisjordanie depuis cette date et, par conséquent, le départ de près de 300 000 colons juifs, et la restitution par Israël de Jérusalem-Est aux Palestiniens, qui y installeraient leur capitale ;
b) la renonciation de plus de 4 millions de réfugiés palestiniens, qui vivent depuis près d’un demi-siècle dans les pays voisins, à leur droit au retour. Contre compensation financière et installation dans les pays qui accepteraient de les accueillir.
Cette solution résulte des résolutions de l’ONU. Elle est reprise dans les plans les plus récents et les plus sérieux : paramètres Clinton de décembre 2000 ; documents (de la négociation israélo-palestinienne) de Taba ; Initiative (israélo-palestinienne) de Genève ; Plan saoudien adopté par la Ligue arabe (ni accepté ni rejeté par Israël).

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Nous sommes nombreux à avoir cru que cette solution, qui s’était dégagée en l’an 2000, était la bonne et que ce compromis historique (raisonnable) ne tarderait pas à prévaloir.
Il nous a échappé que, pour qu’un conflit prenne fin, il est certes nécessaire de savoir comment en sortir. Mais que cela ne suffit pas : il faut que les hommes aux commandes des deux côtés aient intérêt à la paix. Et, comme le général de Gaulle en 1959 pour l’Algérie, le courage d’en affronter les risques et les dangers.
Dans le cas du conflit israélo-palestinien, ce n’est pas encore le cas, et ce ne le sera pas en 2008.

1. George W. Bush et Condoleezza Rice n’ont plus que quelques mois pour agir, et le conflit israélo-palestinien n’est que l’un des problèmes qui les assaillent ; dans un an, ils seront sur le départ et auront la tête complètement ailleurs.
Ils ont, en outre, pour doctrine déclarée de n’être que des « facilitateurs », sans volonté de faire pression sur les parties pour qu’elles trouvent un accord.
Or, sans volonté forte des États-Unis (et du reste de la communauté internationale) d’exiger des deux parties qu’elles passent de l’évocation de « concessions douloureuses » aux actes, il ne se passera rien.
En soixante ans d’existence, Israël n’a jamais fait de concession sérieuse sans que ses dirigeants y soient contraints par un président américain ou un impératif extérieur, la démographie, par exemple, ou des pertes humaines insupportables (comme au Sud-Liban entre 1982 et 2000).
2. Mahmoud Abbas n’est pas Yasser Arafat et Ehoud Olmert n’est pas Ariel Sharon. Ils sont l’un et l’autre impopulaires et affaiblis.
Récusé par le Hamas, et même par les indépendants, Abbas n’a plus qu’une autorité relative sur son propre mouvement, le Fatah. Olmert, dont le parti n’a guère d’existence, est à la tête d’une coalition de forces disparates et rivales incapables de s’entendre sur une stratégie.

Le premier a déjà tout donné et ne survit que parce que les Américains et les Israéliens y trouvent leur intérêt ; le second consacre une partie de son temps à se protéger des juges et le reste à maintenir une apparence d’équilibre à l’intérieur de son gouvernement.
Qui peut imaginer Abbas annonçant aux réfugiés palestiniens qu’ils doivent renoncer à leur rêve de retour dans les maisons dont leurs parents ou eux-mêmes ont été chassés ? Aurait-il le courage de formuler la requête qu’il ne serait pas écouté.
Quant à Olmert, il ne demandera pas non plus aux colons, dont tous les gouvernements israéliens de gauche et de droite se sont fait un devoir, depuis quarante ans, de peupler la Cisjordanie, de quitter leurs terres pour aller s’entasser dans des appartements que nul n’a songé à construire pour les accueillir.
Avons-nous le moindre signe des dirigeants israéliens indiquant qu’ils envisagent un changement politique de pareille ampleur, qu’ils y préparent leur opinion ?

En réalité, chacun le sait, le conflit israélo-palestinien n’est que le motif apparent de la réunion d’Annapolis. Le « héros » de ce happening est le seul pays du Moyen-Orient à ne pas avoir été invité, et pour cause : l’Iran.
Pour George W. Bush, il s’agissait de rassembler « ses » modérés, dont le nombre impressionne, d’en faire « le camp du bien » face à un Iran isolé ne disposant pour toute troupe que du Hezbollah libanais et du Hamas palestinien.
Derrière cette manuvre, un objectif : récupérer la Syrie, comme les Anglo-Saxons l’ont fait hier pour la Libye. La détacher de l’Iran, lui faire réintégrer le camp des pays arabes modérés, tous dirigés par des hommes inféodés aux États-Unis.

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Dans une prochaine livraison, je vous en dirai plus sur cette opération. Si tout va bien pour ses auteurs, elle se réalisera en 2008.
En attendant, lisez ce qu’en écrit, dans le New York Times, le professeur israélien Yossi Alpher* :
Quatre Premiers ministres israéliens (Rabin, Pérès, Netanyahou et Barak) ont négocié avec Hafez al-Assad, le père de Bachar, un accord entre Israël et la Syrie pour échanger les Hauteurs du Golan contre une paix froide.
S’entendre avec Bachar promet beaucoup plus aujourd’hui : on mettrait fin au soutien de la Syrie à des mouvements islamistes comme le Hamas et le Djihad et l’on ferait sortir la Syrie du « croissant chiite » qui relie l’Iran au Hezbollah du Sud-Liban. Cela apporterait à la région des perspectives de paix plus importantes que ce que Mahmoud Abbas peut proposer.
Les services de renseignements israéliens sont convaincus que Bachar al-Assad est sincère dans son offre d’un accord de paix.
Bien sûr, le prix qu’il demande est plus que le Golan. Il veut que l’Occident mette fin à son boycottage économique et diplomatique, ferme les yeux sur son régime répressif et accepte de négocier la présence de son pays au Liban.

On le voit : les États-Unis de George W. Bush et l’Israël de Ehoud Olmert n’ont pas pour dessein de résoudre en 2008 le conflit israélo-palestinien (ni, a fortiori, le différend israélo-arabe). Ce qu’ils veulent, c’est instrumentaliser leurs homologues arabes pour régler son compte à l’Iran.
Aussi longtemps que les dirigeants des pays arabes continueront à se prêter à cette manuvre et ne s’aviseront pas de jouer leurs propres cartes, la région demeurera un foyer de tensions.

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* Professeur à l’université de Tel-Aviv, Yossi Alpher est un ancien conseiller spécial du Premier ministre Ehoud Barak.

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