Un passé qui ne passe pas

Caché, de Michael Haneke (sortie à Paris le 5 octobre)

Publié le 2 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Le réalisateur autrichien Michael Haneke, comme on ne peut l’ignorer dès qu’on a vu ne serait-ce que l’un de ses films, possède un style bien à lui. L’auteur de Benny’s video et de Funny Games, deux films aussi effrayants que magistraux qui l’ont fait connaître de tous les cinéphiles, est à coup sûr l’un des cinéastes les plus originaux et les plus importants de son temps. Il le démontre encore avec Caché, grâce auquel il a obtenu le Prix de la mise en scène et le Prix de la critique internationale au dernier Festival de Cannes après avoir été longtemps le favori pour la Palme d’or.
L’intrigue de Caché, selon la méthode habituelle d’Haneke, est organisée autour d’un dispositif narratif aussi inquiétant qu’improbable. Dans ce cas, le couple bourgeois assez banal que forment les deux principaux « héros » de l’histoire, Georges et sa femme Anne, un animateur d’une émission littéraire télévisée et une assistante d’édition joués respectivement et remarquablement par Daniel Auteuil et Juliette Binoche, se trouve déstabilisé par un incident à répétition. Une vidéo, puis d’autres, sont envoyées à leur domicile, démontrant, par leurs images, que Georges et son cadre de vie sont filmés à son insu. Pourquoi ? Par qui ? Impossible de le savoir. Ce qui, on s’en doute, crée un climat d’angoisse et rend quelque peu paranos les cibles du mystérieux vidéaste dont le mobile est inconnu. D’autant que la police, sollicitée, dit ne pouvoir rien faire tant qu’aucun délit bien concret n’a été commis.
Petit à petit, pourtant, le journaliste, à force de se demander ce qui pourrait justifier ce harcèlement aussi bizarre qu’insupportable, pense à une piste. Qui le ramène à son enfance, où il s’est rendu coupable d’un comportement odieux envers un jeune Algérien de son entourage immédiat. Sa victime serait-elle devenue, par vengeance, presque un demi-siècle après cette époque de la guerre d’indépendance, son persécuteur ? Et si ce n’est pas elle, puisque le « suspect » nie quand il réussit à le retrouver, serait-ce son fils ? On ne le saura jamais, puisque la fin du film, après une scène de suicide filmée frontalement, d’une force et d’une violence inouïes, reste ambiguë. Permettant au spectateur, s’il n’est pas trop frustré, de décider lui-même quelle hypothèse est la meilleure.
Cette façon peu conventionnelle de mener le récit permet à Haneke d’imposer à l’écran une vision complexe du monde réel et virtuel dans lequel nous sommes immergés, avec notre passé comme notre présent. Tout en nous tenant en haleine, puisque nous voulons comprendre les ressorts de la situation angoissante qu’il a installée, il nous conduit à interroger aussi bien certains aspects inquiétants de notre univers au début du XXIe siècle – la société de surveillance qui triomphe, la violence et la lâcheté ambiantes, etc. – que les rapports entre ceux-ci et des événements individuels ou collectifs enfouis dans le passé. Ce qui donne à son film à la fois une dimension psychologique et une dimension politique qui se soutiennent l’une l’autre en illustrant les ravages du retour inéluctable de ce qui est refoulé dans la vie de chacun, comme dans celle des communautés humaines.
Michael Haneke, un homme non dénué d’humour mais toujours vêtu de noir, n’est pas du genre à flatter ou à rassurer. Que tout ce qu’il raconte ne soit pas entièrement clair ne paraît pas lui poser de problème. Car il entend avant tout, au-delà des explications, faire passer son « message » par ce qu’il fait éprouver au spectateur qui – il n’a pas le choix – ne pourra rester indifférent face à l’écran. Voir un film de ce cinéaste, qu’on l’aime ou non, c’est donc aussi voir sa sensibilité mise à rude épreuve et vivre une expérience. Intense.

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