Mourir, certes. Mais comment ?

Publié le 2 octobre 2005 Lecture : 6 minutes.

Sauf miracle (improbable), vous et moi, nous mourrons un jour. Et pourtant, en parler est difficile. Essayons, cependant. Demandons-nous quels peuvent être les choix devant la mort lorsqu’elle est annoncée.
C’est ici la réflexion d’un médecin français qui a travaillé trente ans en Afrique et qui n’ignore pas que si la façon de mourir intéresse d’abord le malade, elle intéresse aussi les religions et la société.
Il y a des morts aiguës, consécutives à un accident ou à une courte maladie. En ce cas, les problèmes de société ne sont pas décisifs : que fallait-il faire ? Pouvait-on éviter cela ? Ces interrogations se font après la mort. À l’inverse, l’évolution progressivement fatale d’une longue maladie, qui détériore le corps et parfois l’esprit d’un malade souffrant, suscite des interrogations concernant la conduite à tenir avant la mort.

Le suicide ? Ne parlons pas de la personne qui se suicide en bonne santé physique (psychique ?). Ce n’est pas notre sujet, mais remarquons que beaucoup de suicidés « récupérés » se demandent ensuite : « Pourquoi ai-je fait cela ? » On peut donc changer d’avis pour une décision aussi cruciale.
Chez un malade chronique en fin de vie, le suicide est parfois réalisé par le patient lui-même. C’est sa responsabilité. Ce qui pose problème à la société, c’est le suicide assisté par un intervenant qui apporte le poison ou le revolver. On rejoint là le problème de l’euthanasie.
L’euthanasie consiste à donner à un malade chronique une mort « artificielle ». On en connaît les techniques, la grande presse elle-même s’en fait l’écho. Dans certains pays, c’est un crime ou un assassinat (c’est-à-dire un crime prémédité). Dans d’autres pays, la loi organise et encadre l’euthanasie. Quelques questions sont souvent débattues : en voici quelques-unes.
L’accord du malade est toujours requis : c’est bien le moins qu’on puisse demander. À mon sens, cet accord doit être acquis au moment même où la question se pose… et non pas des mois ou des années auparavant quand on est en bonne santé. Tant il est vrai que le point de vue de la personne concernée n’est souvent plus le même au dernier moment. Tous les médecins ont observé cela et n’ont recueilli que très rarement des demandes d’euthanasie formelle (quelques cas à peine en vingt ou trente ans d’exercice). Rappelons-nous que la décision de mourir est réversible, la mort est irréversible.

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L’accord de la famille est-il nécessaire si le malade a donné le sien ? Est-il éthiquement acceptable si le malade ne peut pas donner son avis ? L’intervention familiale seule ne peut pas être décisive, d’autant qu’elle peut être motivée par la compassion ou l’amour, certes, mais aussi par des intérêts divers.
L’avis du médecin (si possible de plusieurs) est indispensable pour affirmer que le malade est atteint d’une affection mortelle à court terme et irréversible. Mais le médecin doit-il donner la mort ? Je ne le crois pas. En tout cas, c’est discutable, d’autant que ce geste ne présente aucune difficulté technique.
La légalisation de l’euthanasie est débattue ou décidée dans plusieurs pays. Elle comporte, selon moi, un triple risque. D’une part, une loi peut toujours être contournée. D’autre part, on ouvre la voie à d’autres euthanasies, celle des invalides, des trop vieux, etc. Enfin, la possibilité pour un malade d’être euthanasié (dans le cadre légal de cette « mort artificielle ») peut le conduire à des réflexions terribles : le médecin va-t-il respecter son avis ? Ses changements d’avis ? Va-t-il tenir compte d’autres opinions que la sienne ? Va-t-on « profiter » d’un coma ? Situation de doute insupportable pour le malade et le médecin.
Les soins palliatifs (SP) abordent différemment la fin de vie. Développés en Grande-Bretagne depuis les années 1950, puis au Canada et en Europe et plus récemment aux États-Unis, ils sont considérés avec faveur. De quoi s’agit-il ? D’accompagner le malade jusqu’à une mort naturelle et spontanée en lui procurant le confort et le réconfort nécessaires. Dans le cadre, ici aussi, d’une maladie mortelle à court terme et irréversible. On arrête alors tous les examens et traitements désagréables. Et on s’efforce de supprimer la douleur, la difficulté respiratoire, les vomissements et les symptômes gênants. On prend en compte la souffrance physique, mais aussi les souffrances psychologiques et morales, et les souhaits du patient. Cela dans un cadre confortable permettant au malade d’être entouré de ses proches et de « vivre sa mort » sereinement. L’idéal est de disposer de locaux adaptés dans une unité spécialisée où interviennent des équipes nécessairement pluridisciplinaires – médecins, infirmiers et infirmières, kinésithérapeutes, psychologues, travailleurs sociaux, diététiciens. Avec une présence religieuse, si le patient en fait la demande.
Lorsqu’il n’existe pas d’unités spécialisées individualisées, les équipes « mobiles » de SP peuvent se rendre au chevet de patients, dans les services hospitaliers qui disposent de conditions d’isolement convenables. Cette formule de SP est celle qui permettrait d’en faire bénéficier assez rapidement le plus grand nombre de malades. À deux conditions : que la présence des intervenants ne soit pas dévaluée par l’environnement et que l’équipe de SP coopère étroitement avec l’équipe soignante.

Les équipes de SP peuvent aussi « accompagner » un patient à son domicile lorsqu’il le souhaite et que le médecin traitant peut être l’indispensable coordonnateur.
Toutes les équipes de SP travaillent avec des « bénévoles » lorsque leur présence est souhaitée par le patient. Ils sont joignables vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils agissent dans un cadre d’associations, assurant leur sélection, leur formation et leur contrôle après accord passé avec les établissements.
Un point essentiel est la réunion fréquente et régulière de tous les intervenants auprès d’un malade pour évaluer et coordonner les actions.
Discrètement encore (mais…), les économistes de la santé interviennent, trouvant avantage aux SP, moins coûteux que la prise en charge technique lourde. À l’université de Virginie, on a calculé que les cinq derniers jours d’un malade atteint de cancer coûtent 1 271 dollars en SP et 4 703 en soins intensifs (scanners, résonance magnétique, chimiothérapie, etc.). Alors, les SP seraient-ils un « truc » pour économiser ? Ou est-ce seulement un argument supplémentaire ?
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Les représentants des religions monothéistes (catholiques, protestants, juifs, musulmans) sont intervenus devant l’Académie de médecine en 1999. Elles sont en accord pour respecter la vie, bannir l’obstination thérapeutique et favoriser une mort naturelle. Il en est de même des bouddhistes, pour lesquels le respect de la vie et la philosophie de la mort devraient conduire à une fin de vie sereine.

Quant à la société, ou plutôt aux sociétés, on doit distinguer celles qui cachent de plus en plus le mourant, la mort et même l’enterrement (« strictement familial »). C’est le cas des sociétés occidentales, notamment française, où les rites funéraires sont réduits au minimum, tandis qu’un véhicule violet s’en va discrètement au cimetière. Dans ces sociétés, une tendance philosophique est favorable à l’euthanasie, avec des arguments honorables, notamment le respect de la dignité du patient et le refus de la dégradation physique ou intellectuelle. Mais où commence la dégradation ? Qui juge de la dignité du patient ? Sur quels critères ?
D’autres sociétés, en Afrique et en Asie notamment, sont plus familières avec la mort : elle fait partie de la vie et est envisagée sans effroi. Des rites chantés, voire dansés, accompagnent l’enterrement et la famille. Ultérieurement, le culte des morts les garde « vivants ». Dans ces sociétés, l’euthanasie n’est guère envisageable. Mais je ne sais pas comment y sont envisagés les soins palliatifs.

Que conclure ? Ou plutôt peut-on conclure ? Je ne le crois pas, tant le choix est intime, individuel. Et par individu, j’entends le malade en fin de vie plutôt que sa famille ou son médecin. Ce dernier a cependant le rôle essentiel d’affirmer le caractère mortel à court terme et irréversible de la maladie en cause, Ce n’est pas toujours si facile.

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* Doyen honoraire de la faculté de médecine d’Abidjan, le professeur Bertrand a derrière lui trente ans de pratique médicale en Afrique, de la « brousse » jusqu’aux CHU.

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