Émergence de l’Afrique
Du 19 au 25 août se sont tenus les états généraux du film documentaire. Avec une sélection spécifiquement dédiée au continent.
Est-ce que réaliser un film peut changer la vie ? Servir à quelque chose ? Comment montre-t-on la réalité ? Questions récurrentes durant les états généraux du film documentaire qui, comme chaque année depuis vingt ans, se tenaient à Lussas, en Ardèche (France), et sont engagés depuis 2001 dans la promotion et le soutien des documentaires africains. Ces questions sont cruciales aussi bien pour le réalisateur israélien Ram Loevy dont les films (déprogrammés l’année dernière en raison de la guerre au Liban) étaient projetés cette année, que pour les cinéastes finlandais – invités d’honneur à cette nouvelle édition – et ceux de la sélection Africa Doc.
Cette section consacrée aux films sur l’Afrique ou réalisés par de jeunes Africains aurait pu être placée sous le patronage du pionnier René Vautier dont on projetait le mythique court-métrage Africa 50, réalisé dans les plus grandes difficultés politiques et administratives il y a plus d’un demi-siècle. Le Petit Homme à la caméra rouge, le film de Richard Hamon, qui l’accompagnait, retrace l’aventure de ce premier film français anticolonialiste, censuré jusqu’en 1996, qui valut au réalisateur du célèbre Avoir 20 ans dans les Aurès un an et un jour de prison. « Je filme, explique-t-il, ce que tout le monde sait, ce que tout le monde peut voir et que personne ne montre. »
Car la caméra est une arme de combat, pour René Vautier comme pour Ram Loevy, qui lutte contre l’oubli en montrant avec beaucoup de difficultés, depuis les années 1960, les vies détruites et l’enfermement des Palestiniens en Israël. Comment faire voir d’un point de vue différent la réalité ? Il faut la construire, lui donner une forme qui non seulement nous informe mais nous touche et nous fait accéder à une certaine vérité au-delà du simple reportage.
Ainsi, en plantant sa caméra parmi les habitants de Mafrouza, Emmanuelle Demorris nous fait participer à la vie de ce quartier pauvre d’Alexandrie (Égypte). La réalisatrice devient ici l’un des personnages du film. Les habitants l’interpellent, la questionnent, mettant parfois en scène eux-mêmes, de façon souvent drôle et émouvante, leur quotidien et leur quartier. De même, les deux derniers juifs d’Afghanistan qui vivent dans la synagogue de Kaboul, désertée et pillée, discutent avec humour des choix de l’ethnologue-cinéaste Dan Alexe, dans Cabale à Kaboul, qui nous rend présente la fin poignante d’un monde.
Cette façon de filmer exige un profond engagement et une très grande détermination de la part des réalisateurs. Certains d’entre eux ont fréquenté leurs personnages pendant plusieurs années avant de les filmer ; ils ont noué des relations de confiance et ils en sortent pour certains « essorés » comme le dit Osvald Lewat, cinéaste camerounaise. Son film, Une affaire de nègres, coproduit avec la France et le Canada, raconte la peur, le silence et la douleur des familles face aux dérives d’une campagne de lutte contre le banditisme dans la région de Douala, qui fit en 2000 plus d’un millier de morts et de disparus (souvent sur simple dénonciation du voisinage). Faire connaître la vérité, lutter contre l’injustice, ne pas abandonner ceux qui souffrent : « Je ne pouvais pas ne pas le faire, c’était une nécessité », dit-elle. Est-ce cette nécessité qui donne à ce film comme à certains autres sa force et ce caractère universel qui nous touche et dépasse le reportage ou le film purement militant ?
On pourrait en dire autant de certains films plus intimistes auxquels cette « nécessité » donne à l’écriture comme à l’image une grande force, tel le très court film de la jeune sénégalaise Aïcha Thiam, Papa, sur la si longue attente d’un père qui ne revient au pays que pour mourir. Et quelle nécessité, sinon une vraie rencontre, a poussé Lucie Thierry à filmer dans Poussière de femmes les balayeuses de rue de Ouagadougou ramassant l’éternelle poussière avec leurs petits balais de paille et parlant de leur travail et de leur place de femmes ?
C’est ce sentiment de « nécessité » que l’on souhaite transmettre aux étudiants du mastère de réalisation qui va s’ouvrir, en collaboration avec Africa Doc, en octobre prochain à l’université de Saint-Louis du Sénégal. Ces étudiants veulent filmer « l’Afrique qui existe » afin que « dans dix ans le cinéma du continent explose », comme le prédit Jean-Marie Barbe, cofondateur du festival de Lussas et responsable de la section Africa Doc, profondément engagé dans ce travail avec eux.
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