Driss Basri s’est trompé
Il fut le tout-puissant ministre de l’Intérieur et le véritable grand vizir d’Hassan II de 1979 à 1999. Troisième homme de confiance du roi (après les généraux Oufkir et Dlimi, « décédés dans l’exercice de leurs fonctions »), il aura été le seul à survivre au job et au maître du palais. Il est mort le 27 août à Paris, à 69 ans, emporté par un méchant cancer. C’était un homme d’État, à sa manière, rude et brutale. Un personnage presque fascinant, intelligent, autodidacte malgré ses « diplômes ». Un homme de terrain, gouailleur, un peu rustre. Mais aussi un spécialiste des arcanes et des secrets (tous emportés dans la tombe). Driss Basri incarnait la monarchie absolue, qu’il servit sans états d’âme. Chargé de tenir la maison d’une main de fer, il aura été de longues années (vingt ans) le véritable surintendant du Makhzen (le système) contre toutes les siba (dissidences).
Mohammed VI, alors prince héritier, n’aimait pas ce ministre serviteur, par ailleurs chargé de « veiller » sur le futur roi. À l’avènement du nouveau monarque, Driss Basri, symbole aussi d’un autre temps et d’un autre maître, fut donc limogé.
Je garde d’étonnants souvenirs de mes rencontres avec Basri. Je me souviens de lui me mettant sur écoute dans mon hôtel à Rabat et me reprochant, autour d’une bonne table, le soir même, avec des grands éclats de rire, sans vergogne, le contenu de mes conversations avec mon bureau à Paris. Je me souviens de lui organisant avec une incroyable minutie l’interview d’un transfuge important du Polisario. Ou d’une véritable expédition automobile, dans les rues de Rabat au petit matin, Basri au volant de son Audi, accompagnant le prince Moulay Rachid à l’université Je me souviens de cet opposant qui me racontait que Basri lui-même pouvait assister à une séance musclée d’interrogatoire. À Paris, ville de son exil, je le croisais parfois chez notre coiffeur commun, très amaigri, mais l’il toujours vif, l’analyse souvent juste, mais où perçaient trop amertume et de déception.
Au fond de lui, Basri était un vrai « flic », un homme d’ordre qui pensait que le royaume, indiscipliné par essence, ne changerait pas vraiment, que les droits de l’homme étaient subordonnés à la survie de l’État et de la couronne. Il croyait que le nouveau Maroc, celui de Mohammed VI, avait besoin, avant tout, de poigne. Il croyait à la méthode ancienne et aux hommes d’expérience, burinés par les événements, nourris par le cynisme.
Le nouveau roi voulait ses gens à lui, plus jeunes, et un pays plus ouvert. Et ce Maroc-là, ce nouveau Maroc, ne fonctionne pas si mal, malgré les menaces (terroristes), la pauvreté endémique, les retards sociaux, la modernisation brutale qui perturbe les âmes. Ce Maroc-là se libéralise, se démocratise. L’autoritarisme recule, malgré tout. Ce n’est pas le paradis, mais rares sont les pays arabes qui peuvent justifier de réels progrès dans ce domaine Le 7 septembre auront lieu des élections législatives importantes. Dans le passé, le superministre Basri savait y faire pour sortir des résultats qui arrangeaient le Makhzen. Aujourd’hui, le roi demande une transparence absolue. La presse, les commentateurs, les associations, les partis sont présents, sur le qui-vive.
Driss Basri, paix à son âme, s’est trompé. Le palais est toujours aussi puissant. Mais le Maroc a changé. En mieux. Il se gouverne autrement.
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