Vitesse supérieure

Après un démarrage laborieux, le processus de cession des entreprises publiques prend un nouveau tournant.

Publié le 2 juillet 2006 Lecture : 6 minutes.

C’est désormais un acquis, presque une banalité, diront certains audacieux. Après un démarrage laborieux et un long piétinement jusqu’à la fin 2004, l’Algérie privatise enfin. « Aucun sujet n’est tabou. Nous voulons aller vite, tout est privatisable, il suffit de pointer du doigt l’entreprise qui vous intéresse », a martelé le 20 juin Mohamed Salah Aouadi, chef de division au ministère des Participations et de la Promotion des investissements (MPPI), devant un parterre d’entrepreneurs français réunis à la Chambre de commerce franco-arabe, à Paris. De son côté, le ministre Abdelhamid Temmar multiplie les visites à l’étranger (France, Italie, Portugal, Espagne, etc.) pour promouvoir son programme.
Pendant longtemps, la cession du complexe sidérurgique El Hadjar au groupe Mittal Steel en 2001 et celle de trois usines de l’Enad (détergents) à la société allemande Henkel étaient restées les seules opérations d’envergure réalisées. L’année 2005 a connu un premier coup d’accélérateur. Une centaine d’entreprises ont été privatisées sur un total de 221 depuis 2003. Il en reste environ 950. Il s’agit essentiellement de petites structures, mais de grandes sociétés figurent également au programme, comme Eniem (électroménager), Enie (électronique), Saidal (pharmacie), SNTA (tabac) et SNVI (véhicules industriels), dont une filiale vient d’être reprise par le carrossier industriel français BTK. Toutes les privatisables doivent choisir cette année leur banque d’affaires ou leur cabinet de conseil. Air Algérie est en phase de filialisation de ses activités en vue de permettre la création de partenariats internationaux, « y compris dans l’aérien », insiste-t-on au ministère.
Sur le plan politique, le discours est donc clair, à un moment où l’on aurait pu s’attendre au contraire. Compte tenu de la bonne santé macroéconomique du pays, le programme de privatisations aurait en effet pu perdre son caractère d’urgence, par exemple pour repousser à plus tard la gestion des conséquences sociales des cessions. Il est vrai qu’elles ne seront peut-être pas toutes impopulaires. « Les entreprises publiques ont un effectif pléthorique qu’il faut avoir le courage politique de licencier, et ce n’est pas évident, explique le responsable d’un cabinet de consultants. Mais la moyenne d’âge est relativement élevée dans ces sociétés et la retraite se prend après trente-deux ans seulement de cotisation. Grâce à de bonnes primes de départs à la retraite, les aménagements peuvent se faire en douceur, comme ce fut le cas chez Mittal Steel. »
La volonté affichée par le chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, de libéraliser l’économie a suscité un changement de conjoncture qui n’est pas étranger à la relance du processus. Les compagnies nationales sont désormais soumises à une concurrence croissante. À l’intérieur des frontières, la plupart des marchés sont ouverts ou en passe de l’être. Découragés par la difficulté d’acheter sur place ou à l’étranger, de nombreux entrepreneurs privés ont lancé leur propre activité et conquis rapidement les parts de marché des entreprises publiques, devenues encore moins attractives. C’est le cas notamment dans le secteur des corps gras et du sucre, au profit du groupe privé Cevital, et dans ceux de la bière (groupes algérien Tango et français Castel) et des boissons gazeuses et fruitées (Ifri, NCA-Fruital). À cette concurrence interne s’ajoute celle des produits chinois et, progressivement, européens, qui bénéficient du démantèlement des tarifs douaniers lié à l’accord d’association avec l’Union européenne et au processus d’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce.
La privatisation apparaît souvent comme la dernière opération de sauvetage pour des entreprises moribondes. Malgré la faible attractivité de certaines d’entre elles, les investisseurs privés algériens ne s’en détournent pas, pour une très bonne raison : les terrains sont rares et chers, et les entreprises publiques se sont vu accorder, au lendemain de l’indépendance, des surfaces gigantesques. « On peut y construire une cité universitaire ! » annonçait Mohamed Salah Aouadi, du ministère des Participations, en parlant des plus grandes pour impressionner son auditoire. Du côté des investisseurs étrangers, moins intéressés par l’aspect foncier, c’est l’embellie financière de ce pays de 33 millions de consommateurs qui incite à examiner certaines opportunités de plus près. Misant sur le boom de la construction, le français Lafarge et l’allemand Kraftanlagen Heidelberg ont soumissionné début juin au rachat de deux des six cimenteries mises en vente (capacité de 1 million de tonnes chacune), quitte à devoir affronter, le moment venu, la concurrence de l’égyptien Orascom, déjà bien implanté.
Dans le secteur productif, ce sont principalement l’agroalimentaire et les boissons qui suscitent l’intérêt. Le groupe français Lesaffre, leader mondial dans la fabrication de levures et qui détient déjà 80 % du marché algérien, a repris deux levureries en décembre 2005. Ces derniers mois, les privatisations de l’eau embouteillée ont tenu le devant de la scène. Danone, qui confirme un parcours sans faute en Algérie, a acquis début juin la société Tessala auprès du groupe de boissons Algad. Exploitant une source à proximité d’Alger, avec un potentiel de 500 millions de litres par an, il compte bientôt lancer sa propre marque, Hayet. Parallèlement, le groupe a également porté de 51 % à 95 % sa participation dans Danone Djurdjura (numéro un algérien des produits laitiers) en avril 2006. De son côté, le privé algérien Cevital a repris l’unité de production d’eau de Lala Khedidja, à Tizi-Ouzou, tandis que l’entreprise d’eau minérale EMA a été cédée en partie au groupe algérien Sim, préféré au français Castel.
D’autres entreprises industrielles ont été reprises par divers opérateurs internationaux, comme l’exploitation d’une carrière de marbre à Oran, en partenariat avec l’entreprise nationale Enamarbre, ou encore la société Asmidal (production de fertilisants), deux câbleries de 700 employés chacune et 27 briqueteries publiques, sur un total de 45. Mais dans un pays où l’industrie perd graduellement de sa compétitivité, les investisseurs étrangers misent beaucoup sur les services. Le secteur financier est le plus suivi, avec la privatisation longtemps attendue, maintes fois tentée, du Crédit populaire d’Algérie (CPA). Selon la banque Rothschild, qui agit comme conseil sur ce projet, l’appel d’offres qui sera lancé en septembre prochain devrait prévoir une part majoritaire du capital pour le repreneur. Pour beaucoup d’observateurs, cette première privatisation constitue le test par excellence de la volonté politique ou non de réformer le paysage bancaire en profondeur.
Conscients que l’heureux élu dirigera la première banque du pays – elle dispose d’un réseau de plus de 125 agences – et la mieux gérée, les candidats se bousculent au portillon : les français BNP Paribas, Société générale et Crédit agricole, mais aussi l’américain Citibank, pour ne citer qu’eux, sont sur les rangs. Cette importante étape une fois franchie, la Banque de développement local (BDL) sera mise en vente. Comme le CPA, elle a bénéficié d’un assainissement financier. Ensemble, ces deux banques représentent près de 30 % du marché. Leur privatisation devrait créer un effet d’entraînement sur les autres établissements et les inciter à se mettre à niveau. Dans un autre domaine, l’ouverture du capital d’Algérie Télécom suscite la convoitise des plus grands groupes étrangers (voir pp. 64-65). L’opération a été confiée à la banque d’affaires espagnole Santander, et le dossier, selon les autorités, est en bonne voie.
Tout est privatisable en Algérie, insistent-elles. Mais plus les entreprises sont petites, plus les contraintes sont nombreuses. Et plus grande devra être la confiance du repreneur dans la vitalité de l’économie algérienne ! Car l’information financière fiable demeure une denrée rare, les bilans et les comptes de résultats n’étant généralement pas publiés. Les intéressés sont donc obligés de réaliser leurs propres audits sur la société cible, le plus souvent avec l’aide de cabinets d’experts internationaux. L’ouverture des plis fait parfois apparaître des offres farfelues d’acteurs non spécialisés ou sans solidité financière. Certains professionnels y voient une manière de faire monter les enchères
Reste à savoir ce qu’il va advenir de la compagnie pétrolière Sonatrach. L’État, qui a ouvert le secteur à de nouveaux acteurs par sa loi sur les hydrocarbures, ne voit pas vraiment l’intérêt à privatiser la première entreprise d’Afrique, qui actuellement engrange des bénéfices records. On peut le comprendre.

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