Les Marocains, arbitres des élégances

Publié le 2 juillet 2006 Lecture : 3 minutes.

Les immigrés de la première génération, ceux qui sont arrivés dans les années 1960 et 1970 en Europe, on sait très bien à quoi ils servent, ou plutôt à quoi ils ont servi : ils ont construit des routes et des immeubles, ils se sont enfoncés dans les galeries souterraines des mines de charbon, ils ont travaillé dans le textile, dans l’automobile, dans la sidérurgie. Bref, ils ont fourni de la main-d’uvre docile et bon marché.
Mais à quoi servent leurs enfants ? C’est la question qu’on se pose en Europe, parfois à voix haute, le plus souvent en baissant le ton.
Eh bien, j’ai le plaisir d’annoncer qu’on a enfin découvert à quoi sert la deuxième génération des Marocains aux Pays-Bas. Ils servent à établir la mode. Ce sont eux, les arbitres des élégances.

Si l’on se poste à l’entrée d’un supermarché à Amsterdam, par exemple, qu’est-ce qu’on voit ? Eh bien, on voit des gens pressés, mal fagotés, portant des vêtements tout à fait banals, qui entrent et sortent après avoir fait leurs courses. Les femmes portent des pantalons sans grâce et les hommes des pulls vaguement verts ou oranges. On voit aussi quelques clochards, je ne vais tout de même pas vous décrire leur accoutrement Et soudain, arrive Boubker ou Rachid ou Slimane.
– Qu’est-ce que tu portes, Rachid ?
– Ben, rien d’extraordinaire, mes vêtements de tous les jours.
– Dis toujours.
– Un petit pull en laine de Ralph Lauren, un jeans 501 Levi’s, une parka Replay et des chaussures American Cup de chez Prada Sport. Normal, quoi.
Normal, dit-il. Sauf que les American Cup de chez Prada coûtent 235 la paire. De quoi faire vivre sa grand-mère dans le Rif pendant trois mois.
Le patron d’une boutique de mode me confirme que ce sont les Marocains de la deuxième génération qui créent la mode ici. En jargon de marketing, cela s’appelle des trendsetters. Dans ce domaine, ils ont remplacé les immigrants italiens des années 1960. Les trendsetters du genre de Rachid exhibent ce qu’il faut absolument porter pour ne pas avoir l’air complètement plouc. Et la masse suit. Même le fils de l’éleveur de vaches de Paterswolde économise son argent de poche pour acheter des American Cup. Malheureusement pour lui, le système de la mode est pervers. Quand Rachid, Boubker et Slimane s’apercevront que le bouseux de base porte maintenant les mêmes chaussures qu’eux, ils rejetteront avec horreur celles-ci et iront découvrir le nouveau top du top, le must du must, le hip du hip. C’est ça, un trendsetter.
Mais on n’en est pas encore là. Pour l’instant, l’entreprise Prada reconnaît qu’elle fait son plus fort chiffre de ventes à Amsterdam grâce aux Marocains. Mieux : ses employés tiennent compte de la fin du ramadan pour renouveler les stocks des points de vente. Ils ne connaissent rien à l’islam, mais ils se sont rendu compte que la fin du ramadan coïncidait avec une hausse du pouvoir d’achat des adolescents d’outre-Méditerranée. Autre période faste : fin juin, début juillet, quand Rachid et les siens renouvellent leur garde-robe avant d’aller parader sur le boulevard à Nador ou à Casablanca. Une étude très sérieuse a d’ailleurs montré que les jeunes Marocains de Hollande dépensent en moyenne 1 680 euros par an en vêtements et en chaussures, contre une moyenne nationale de 768 euros pour leur catégorie d’âge. Heureusement que leurs parents, qui économisent sou par sou pour aider leurs frères, surs, oncles, cousins et voisins au pays ne le savent pas. Slimane en rit encore.
– Je suis rentré chez moi avec une chemise Armani que je venais juste d’acheter. Ma mère m’a demandé combien je l’avais payée. Je lui ai répondu 10 euros. Et en plus, elle m’a cru !
– Ah, ah. Et combien tu l’avais payée ?
– Qu’est-ce que tu crois ? Cent dix euros !

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Devant mon air ahuri, il m’a détaillé le prix de tout ce qu’il portait. J’ai fait l’addition dans ma tête. En tout, ce Slimane-là valait bien 1 850 euros TTC.
Finalement, cette histoire de chaussures et de chemises incite à l’optimisme. Si l’Italie compte sur les Maghrébins pour promouvoir ses produits en Europe, la coopération en Méditerranée est bien partie

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