Maghreb : ce que coûte la désunion
Le Maghreb est l’une des deux zones économiquement les moins intégrées d’Afrique. Au prix de la croissance et de l’émergence de champions régionaux.
La cinquième Conférence régionale du Maghreb, qui s’est déroulée les 8 et 9 janvier dernier à Nouakchott, aura au moins débouché sur une décision importante. Les gouverneurs des banques centrales des cinq pays de l’Union du Maghreb arabe (UMA), de hauts cadres des ministères des Finances ou de l’Économie de ces États et des représentants du Fonds monétaire international (FMI) étaient réunis pour débattre de la relance du processus d’intégration économique de la région – au point mort depuis 2008. Ils ont décidé de débloquer le capital (100 millions de dollars, soit 75 millions d’euros) de la Banque maghrébine de l’investissement et du commerce extérieur (BMICE) et de créer un comité de suivi. Tous deux devraient être opérationnels avant la fin du premier trimestre de cette année.
Ces structures ne seront pas de trop, tant l’intégration économique de la zone est faible : le Maghreb, un marché potentiel de 90 millions de personnes, est en effet la région la moins intégrée d’Afrique et l’une des moins intégrées au monde, avec seulement 3 % d’échanges formels intrazone, contre 24 % pour l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Pis, les investissements directs étrangers (IDE) intramaghrébins ne représentent que 0,8 % du total des IDE de la région. Conséquence : même si certaines initiatives ont le mérite d’exister – l’Union maghrébine des employeurs, l’Union maghrébine des paysans, ou encore l’Union des banques maghrébines -, la zone dépend énormément de l’Europe. Ainsi, entre 2005 et 2011, 80 % des IDE au Maroc et 60 % de ceux réalisés en Tunisie provenaient du Vieux Continent. « La crise de l’Union européenne, premier investisseur de la zone, impacte l’UMA », a déploré le Tunisien Habib Ben Yahia, secrétaire général de l’Union. Et d’ajouter : « Cela nous oblige à améliorer les conditions d’investissements pour en attirer davantage et favoriser le commerce. La création d’un espace maghrébin uni revêt une importance considérable pour résoudre les problèmes du chômage et de la faiblesse des échanges. » Amor Tahari, consultant international et ancien directeur adjoint au sein du FMI, précise : « D’un point de vue économique, l’intégration est une nécessité pour soutenir la croissance. Pour faire baisser le fort taux de chômage, notamment chez les jeunes diplômés, il faudrait créer plus de 600 000 emplois par an dans la région. Aucun pays ne peut y parvenir seul. »
Le manque d’intégration du Maghreb coûte très cher, selon les économistes. La perte de croissance annuelle de chaque pays est évaluée à 2 points. « Toute la région serait gagnante si elle s’ouvrait davantage à elle-même, en démantelant les obstacles au commerce et en ouvrant largement la porte aux gains réciproques », a déclaré Christine Lagarde, directrice générale du FMI, le 9 janvier dernier. Pour ce faire, le Fonds recommande la mise en place de règles communes, transparentes et incitatives, à travers un code commun de l’investissement. L’amélioration des infrastructures, de l’éducation et de la justice doit aussi être une priorité.
Internationalisation
Ce manque de cohésion économique au sein de l’UMA pèse également sur le secteur privé et bloque à plus d’un titre l’émergence de champions régionaux. Numéro un au Maroc, Attijariwafa Bank a mené sa croissance internationale en Tunisie, en Mauritanie et au sud du Sahara, mais attend depuis plusieurs années une réponse à sa demande d’agrément auprès de la Banque centrale d’Algérie. Pour Hichem Elloumi, président de la commission économique de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), et PDG de Coficab, « même si le Maghreb est la région du monde qui concentre le plus d’entreprises tunisiennes, il y a trop de freins en matière de financement et d’investissement à l’internationalisation des entreprises locales ». Il espère que « le code de l’investissement [tunisien], en cours d’élaboration, sera plus favorable ».
De son côté, Slim Othmani, président du conseil d’administration du groupe algérien NCA Rouiba et vice-président du Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise, souligne : « Les blocages financiers entre nos pays [au sein du Maghreb, NDLR] sont le plus problématiques. Accélérer la mobilité des capitaux et promouvoir les investissements croisés seraient de bonnes choses. »
Les autorités ont beaucoup à faire pour encourager des investissements privés trop souvent inhibés par ceux du public et par des réglementations restrictives. Ainsi, en raison du contrôle des changes imposé par l’administration, les entreprises algériennes ne peuvent pas investir dans des lignes de production à l’étranger. Quant aux sociétés tunisiennes exportatrices, elles sont limitées à 3 millions de dinars par an (1,44 million d’euros), ce qui oblige certaines d’entre elles à contourner la législation en passant par plusieurs filiales. Pour les sociétés non exportatrices, le plafond annuel d’investissements à l’étranger est plus réduit encore, à 0,5 million de dinars.
Au Maroc, les difficultés pour s’implanter en Afrique, et donc au Maghreb, sont certes un peu moins grandes, mais elles existent. Les compagnies du royaume peuvent investir dans la zone sans autorisation préalable jusqu’à 100 millions de dirhams par an (8,8 millions d’euros). « La région doit encore supprimer les obstacles qui empêchent toujours le secteur privé de se développer davantage, d’investir beaucoup plus, d’innover et de créer plus d’emplois », insiste Christine Lagarde. Selon le consultant Amor Tahari : « Le secteur privé maghrébin doit jouer un rôle plus important en établissant notamment des projets communs. »
Coopération soutenue
Parmi les pistes envisagées, le développement de partenariats interentreprises dans des domaines spécifiques tels que l’environnement. « Nous devons éviter les sujets fâcheux et nous concentrer sur des actions simples, qui font consensus. Une coopération soutenue dans le développement durable pourrait être un véritable catalyseur de l’intégration maghrébine », estime Slim Othmani. Le FMI cite également des synergies possibles dans l’agroalimentaire, secteur dans lequel l’Algérie, la Libye et la Mauritanie présentent des faiblesses par rapport au Maroc et à la Tunisie. Des conglomérats régionaux pourraient jouer le rôle de locomotive pour les autres entreprises maghrébines dans la région et même en Afrique subsaharienne.
Restent les blocages politiques, qui perdurent. Depuis 1994, la frontière entre l’Algérie et le Maroc est fermée. « Entre ces deux pays, les relations commerciales sont insuffisantes, et cela freine la croissance. L’absence de liaisons directes et de plateformes logistiques rend les échanges plus coûteux », avance Hakim Marrakchi, membre du conseil d’administration de la Confédération générale des entreprises du Maroc. La fermeture momentanée de la frontière entre la Libye et la Tunisie a bloqué tous les échanges bilatéraux. Un visa est nécessaire pour circuler entre le Maroc et la Mauritanie… Dans la région, il n’y a guère que les contrebandiers qui passent aisément d’un pays à l’autre.
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