Le bon tuyau

New Delhi a décidé de sécuriser ses approvisionnements énergétiques, notamment via un projet de gazoduc partant de la République islamique.

Publié le 2 avril 2006 Lecture : 4 minutes.

Ce n’était pas de gaîté de cur que George W. Bush a affirmé, le 4 mars, à New Delhi, « comprendre » le projet de gazoduc Iran-Pakistan-Inde que sa secrétaire d’État, Condoleezza Rice, avait pourtant vivement critiqué au début de l’année. Il faut dire que le président américain se trouvait en visite officielle en Inde, pays qui a voté, conformément à ses vux, en faveur du renvoi de l’Iran devant le Conseil de sécurité des Nations unies pour son programme d’enrichissement de l’uranium
Bush s’est aussi rendu à la raison : il n’est plus possible de brider le formidable appétit du sous-continent indien en matière énergétique. Comme le déclarait Mani Shankar Aiyar, lorsqu’il était encore ministre indien du Pétrole, « si nous ne disposons pas de l’énergie nécessaire, nous n’atteindrons pas les 7 % à 8 % de croissance dont nous avons besoin pour mettre fin à la pauvreté dans notre pays ».
Or l’Inde se trouve fortement déficitaire en énergies fossiles, encore plus que la Chine, qui, elle, possède d’importants gisements de charbon. Les projections font passer ses besoins annuels de 122 millions de tonnes de pétrole aujourd’hui à 364 millions en 2025, alors que sa production augmentera seulement de 52 millions à 80 millions dans le même temps. Cinquième consommateur mondial de brut, l’Inde passera à la quatrième place en 2010 et à la seconde en 2020, derrière la Chine. Elle produit à peine la moitié du gaz dont elle a besoin.
Le gouvernement de Manmohan Singh a donc décidé de sécuriser ses approvisionnements énergétiques et de contrôler au moins 30 % de ses besoins à long terme, par un moyen ou par un autre. Sans se soucier de déplaire aux Américains, il a pris langue avec les pays pétroliers les moins « recommandables », tels le Soudan, la Syrie, le Venezuela de Chávez, le Myanmar (ex-Birmanie) et, bien sûr, l’Iran des mollahs. On retrouve l’instrument de cette politique, la société publique indienne Oil and Natural Gas Corp., dans nombre de projets pétroliers. Ainsi a-t-elle proposé de reprendre pour 750 millions de dollars les 25 % du capital du Greater Nile Oil Project soudanais, jusque-là détenus par le canadien Talisman Energy. Fin 2005, elle mettait sur la table 2 milliards de dollars pour participer à 45 % de l’exploitation du champ pétrolier offshore nigérian Akpo. Elle s’est associée aux Chinois pour reprendre 38 % du champ syrien Al-Fourat. Au total, les Indiens ont investi 11 milliards de dollars dans quatorze pays, y compris en Russie, dans la presqu’île de Sakhaline, et au Vietnam.
Le volet gazier de la stratégie indienne n’est pas moins important. Il prévoit la construction de trois gazoducs qui auront également pour vertu de contribuer à réconcilier l’Inde avec deux de ses voisins, le Bangladesh et surtout le Pakistan.
Le premier projet acheminerait le gaz birman à travers le Bangladesh et contribuerait à approvisionner aussi le Népal et le Bouthan. Le second partirait des gisements gaziers du Turkménistan pour aboutir en Inde, via l’Afghanistan et le Pakistan. Le troisième prendrait, à Assaluyeh, le gaz iranien de Pars-sud, traverserait le Balouchistan pakistanais et livrerait son contenu à Barmer, en Inde. De ces trois projets, c’est le troisième qui a fait problème. Et pas parce qu’il coûte entre 4 et 7 milliards de dollars, selon les sources. Sur le papier, il est impeccable, comme l’a confirmé l’étude de BHP Billiton en 2003. Ses 2 600 km de long et sa capacité de 90 millions de m3 serviraient pour un tiers au Pakistan et pour deux tiers à l’Inde. Au premier, il procurerait des droits de passage pour 500 à 600 millions de dollars par an. Au second, il apporterait un gaz naturel que des navires méthaniers acheminent d’Iran au compte-gouttes, pour l’instant. Il pousserait encore un peu plus sur la voie d’une paix définitive les deux pays.
Seul « inconvénient » du gazoduc irano-pakistano-indien : il vient contrecarrer les efforts américains pour isoler l’Iran qui cherche à se doter de l’arme nucléaire. D’autant plus que l’Inde a tissé des liens militaires (sous-marins) et civils (port iranien de Chah-Bahar) avec l’Iran. Condoleezza Rice a dit que l’argent du contrat gazier aiderait l’Iran à mener à bien son projet condamné par la communauté internationale ; elle a menacé de ne pas aider l’Inde à se doter d’un nucléaire civil pour son électricité si elle persistait dans son projet de gazoduc. Son sous-secrétaire d’État, Nicholas Burns, a poussé l’Inde à « se contenter des pétroles et gaz kazakh et turkmène, du charbon propre et du nucléaire ».
Face à ces attaques, le Premier ministre indien a louvoyé. Dans un premier temps, ses porte-parole ont répliqué que l’Inde se moquait des mises en garde américaines et que seul comptait son indépendance énergétique. Mais le gouvernement tenait trop à bénéficier du savoir-faire nucléaire américain : il a muté son très pro-iranien ministre du Pétrole, Shankar Aiyar, au poste de ministre de la Jeunesse et des Sports et l’a remplacé par un pro-américain notoire, Murli Deora. Ensuite, l’Inde a voté avec les Occidentaux pour déférer l’Iran devant le Conseil de sécurité.
Le président Bush a fini par abandonner ses préventions, au moins officiellement, tout en acceptant de faire profiter l’Inde de la technologie nucléaire américaine, bien qu’elle ne soit pas signataire du traité de non-prolifération nucléaire. Les discussions ont aussitôt repris à Téhéran, le 15 mars, sur le projet litigieux. En avril, les trois partenaires ont prévu d’arrêter définitivement les quantités et le prix du gaz, ainsi que le trajet de l’ouvrage. Il ne restera plus qu’à signer solennellement la naissance de ce que certains ont déjà baptisé avec emphase le « gazoduc de la paix ».

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