La tension monte au Katanga

Les richesses du sous-sol de la province du Sud congolais attisent toutes les convoitises. De la part des groupes miniers, des Chinois Et de Kinshasa, qui veut garder le contrôle du moteur économique du pays.

Publié le 2 mars 2008 Lecture : 6 minutes.

L’avenir de la République démocratique du Congo (RD Congo) se joue en partie au Katanga, dans le sud du pays. En ligne de mire, l’immense potentiel géologique de la plus riche province congolaise. Encore sous-exploitée, la fameuse copper belt (ceinture de cuivre) reliant les villes de Lubumbashi, Likasi et Kolwezi, le long de la frontière zambienne, recèle 10 % des réserves mondiales du métal rouge et 34 % de celles de cobalt. « Cela suscite de nombreuses convoitises et on peut parler d’une guerre économique », estime le cinéaste belge Thierry Michel, actuellement sur place pour tourner un film sur la renaissance d’une région où affluent compagnies minières internationales et sociétés chinoises. Le volume des investissements engagés est estimé à 2 milliards de dollars, tandis que le produit intérieur brut (PIB) du pays atteint péniblement 8,5 milliards de dollars. Selon la Banque mondiale, le secteur minier pourrait, sur les dix prochaines années, représenter de 20 % à 25 % du PIB national et dégager entre 186 millions et 689 millions de dollars de recettes fiscales pour l’État, contre 27 millions en 2005 ! Pas de doute, les promesses d’un retour à la stabilité depuis l’élection présidentielle de 2006, la boulimie chinoise pour les matières premières et la hausse des cours offrent de réelles opportunités économiques.

Seulement 30 000 tonnes ont été produites en 2007
« Il était temps, car nous avons été totalement abandonnés depuis les années 1990. La vie était très difficile et il n’y avait plus de travail », se souvient Jean Mpugwe, artiste qui expose des tableaux sur une place de Lubumbashi. Après des années de guerre et d’isolement, la ville, qui compte 1,5 million d’habitants, reprend vie. Les rues retrouvent une circulation digne d’une capitale provinciale tandis que la brasserie locale a vu sa production doubler ces deux dernières années. Et si l’ancienne capitale du cuivre, Kolwezi, n’est plus que l’ombre d’elle-même, avec ses bâtisses détruites, ses routes défoncées et ses usines à l’abandon, la relance des sites offre son lot d’emplois et d’espoir. « On constate un regain d’activités, et les demandes de prêts à la consommation ou de crédits immobiliers sont en hausse », affirme un banquier. Si pour l’instant les indicateurs ne permettent pas de quantifier cette tendance, il est certain que le Katanga revient de loin. Du temps de sa splendeur, jusqu’à la fin des années 1980, l’entreprise publique Gécamines produisait ici plus de 400 000 tonnes de cuivre par an – avec un pic à 450 000 en 1984 -, assurait 60 % du budget national et employait 33 000 personnes. Nationalisée en 1967, l’ex-Union minière du Haut-Katanga, créée par les Belges, était le coffre-fort de Kinshasa. Une époque révolue. L’absence d’investissements, une gestion catastrophique accompagnée d’une corruption endémique ont eu raison de ce qui était le fleuron de l’économie nationale aux plus belles heures de la zaïrianisation. Aujourd’hui, plombée par une dette de 2 milliards de dollars, la Gécamines a extrait seulement 30 000 tonnes de cuivre en 2007, tandis que des dizaines de milliers de « creuseurs artisanaux » sont apparus au milieu des ruines industrielles. Afin de redresser la société et relancer l’activité, Kinshasa a adopté en 2002 un nouveau code minier et cédé une soixantaine de concessions à des investisseurs privés étrangers appelés à la rescousse.
Premier d’entre eux, l’entrepreneur belge George Forrest exploite l’ancienne mine désaffectée de Luiswishi et le terril de Lubumbashi. Il a aussi relancé les sites de Kinsenda et Musoshi près de la frontière zambienne et vient de nouer un partenariat avec le groupe Nikanor. Ensemble, ils vont exploiter le fabuleux gisement de Kolwezi (mines de Kamoto et Kov, Katanga Mining), dont la production annuelle devrait atteindre 400 000 tonnes de cuivre et 40 000 tonnes de cobalt. D’ici là, les investissements vont dépasser les 700 millions de dollars. Parmi les principales autres compagnies présentes dans la province, Anvil Mining (Australie) exploite trois mines (Dikulushi, Kulu et Kinsevere), First Quantum (Canada) est à Kolwezi, et FreePort (États-Unis) a récupéré – après le rachat de Phelps Dodge – le gigantesque gisement inexploité de Tenke Fungurume, dont le potentiel est évalué à 400 000 tonnes par an. Mais ces contrats passés avec la Gécamines sont aujourd’hui dans le collimateur des autorités. Après une intense campagne menée par des ONG contre le pillage des ressources, le gouvernement a lancé, en mai 2007, un examen de toutes les joint-ventures.
Le 11 février, la Commission de « revisitation » a envoyé une lettre à chaque société, énumérant une liste de points à éclaircir (voir encadré). « Il n’y a rien de révolutionnaire dans ces courriers. Il s’agit d’une mise à niveau et en aucune manière d’une tentative de renationalisation. Simplement, lorsque ces contrats ont été signés, le contexte n’était pas normal. Aujourd’hui, tout le monde a intérêt à accepter ce réajustement pour mettre un terme à l’attentisme des investisseurs. Cette procédure a également été menée en Tanzanie, en Sierra Leone ou au Liberia », explique le directeur général de la Gécamines, Paul Fortin. Avant de conclure : « Si certains veulent partir, qu’ils le fassent et je serai le premier à reprendre le permis ! » Le vice-ministre des Mines, Victor Kasongo, se veut rassurant en parlant de révision « chirurgicale », « mais la bataille va être rude et ce sera du cas par cas », estime un observateur.

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Menaces sur les accords miniers
En attendant, les entreprises minières consultent leurs avocats et préparent leurs réponses, qui, théoriquement, devaient parvenir au gouvernement avant le 3 mars. À défaut de compromis, le recours à un arbitrage international peut être envisagé. « C’est un jeu à qui perd gagne, mais les implications économiques sont fortes et on va chercher à préserver les intérêts de chacun », explique un opérateur sous couvert d’anonymat. « Il y aura des changements mais ils ne sont pas dramatiques », admet pour sa part George Forrest. Il n’empêche, l’un de ses directeurs avoue que cette incertitude juridique a freiné les investissements. Quant au gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, il se montre plus que circonspect en regrettant de ne pas avoir été impliqué dans le processus. « Quand ces contrats ont été signés, personne ne voulait mettre un rond au Congo. Pour attirer des investisseurs dans un pays à risque, il faut leur proposer de bonnes conditions », estime celui qui assume aussi sa casquette de businessman et qui a vendu ses actifs miniers en 2006 à Anvil Mining. Les compagnies ont également trouvé un appui inattendu avec l’ONG Global Witness, habituellement plutôt sévère à leur égard. « L’intégrité de l’examen des contrats miniers mené par le gouvernement de la RD Congo est compromise par un manque de transparence et de fortes pressions pour que le processus soit terminé aussi vite que possible », dénonce l’organisation. Avant de demander une publication de tous les contrats mis en cause.

« La Chine est mon modèle »
L’autre inconnue concerne l’arrivée des Chinois. Leur présence, déjà très visible notamment à Likasi, est appelée à augmenter avec l’accord de financement signé en septembre dernier (voir J.A. n° 2438). La RD Congo et l’empire du Milieu ont, semble-t-il, décidé de passer à la vitesse supérieure. « La Chine est mon modèle », aurait confié le président Joseph Kabila à un diplomate européen. Après le temps des aventuriers exploitant des fours métallurgiques artisanaux ou exportant des minerais bruts via la Zambie, voici donc venue l’époque du deal à grande échelle. En échange des 6 milliards de dollars accordés pour moitié dans les infrastructures et les mines, Pékin demanderait 10,6 millions de tonnes de cuivre et 660 000 tonnes de cobalt. La première victime a été le groupe Forrest, qui a dû rétrocéder deux permis appelés « Dima », moyennant 825 millions de dollars de dédommagement. Problème, leurs réserves sont estimées à 5 millions de tonnes. D’autres redistributions sont inévitables alors que de nombreux doutes subsistent sur le contenu de l’accord entre les deux États (obligations fiscales des entreprises chinoises, place réservée à la sous-traitance et à la main-d’uvre congolaise). « Les études de faisabilité sont en cours, et une nouvelle mouture est en discussion », reconnaît Fortin, qui a négocié le premier texte et qui admet qu’une troisième enveloppe de 3 milliards est prévue. « Nous devons protéger l’emploi et créer de la valeur ajoutée sur place. Nous avons besoin d’investisseurs sérieux qui respectent les Congolais », prévient le gouverneur, décidément guère en phase avec Kinshasa. Selon les autorités de Lubumbashi, les exportations illicites de minerais bruts, officiellement interdites depuis plus d’un an, faisaient perdre 10 milliards de dollars par an au pays. « Les organisations internationales sont trop frileuses dans leur soutien au pays. Les Chinois sont plus rapides et ont de gros besoins en matières premières. Forcément, ils vont prendre la place », se désole George Forrest.

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