Bush sur le fil du rasoir

Empêtré dans le bourbier irakien, le président pourrait être sérieusement mis en difficulté lors des élections de la mi-mandat, le 7 novembre.

Publié le 1 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Une échéance redoutable se profile dans un proche avenir pour le président George W. Bush. Le 7 novembre, dans un peu plus d’un mois, les élections de la mi-mandat au Congrès vont soit conforter, soit fortement limiter son pouvoir. Leur résultat est donc d’une grande importance, non seulement pour les États-Unis eux-mêmes, mais pour une grande partie du monde.
Si les démocrates prennent le contrôle du Sénat ou de la Chambre des représentants, ou peut-être des deux, Bush pourrait se trouver en position de faiblesse. Si les républicains gardent la majorité dans les deux Assemblées, il se sentira autorisé à poursuivre sa « guerre mondiale contre le terrorisme », et en particulier sa guerre en Irak. Or l’opinion publique américaine n’en veut plus et les démocrates en font le thème principal de leur campagne.
Pour les contrer, l’argument de Bush est qu’il faut gagner la guerre en Irak, à n’importe quel prix, pour mettre l’Amérique à l’abri du terrorisme. Presque au même moment, ce point de vue était défendu avec conviction par Tony Blair, le fidèle allié britannique de Bush, à la conférence du Parti travailliste de Manchester, où il faisait son discours d’adieu.
Bush et Blair ont-ils raison, ou se trompent-ils sur toute la ligne ? C’est le débat qui fait rage aujourd’hui des deux côtés de l’Atlantique. La guerre en Irak a-t-elle amélioré la sécurité de l’Amérique et de la Grande-Bretagne, ou leur fait-elle courir un plus grand risque d’attentat terroriste ?

Au grand dam de Bush, un National Intelligence Estimate – un rapport des services de renseignements transmis à la presse par une fuite, puis déclassifié – considère que la guerre en Irak a dans l’ensemble aggravé la menace terroriste. Loin de reculer, l’extrémisme islamiste s’est répandu sur la planète. Sous le titre « Tendances du terrorisme mondial : implications pour les États-Unis », ce document reflète le consensus auquel sont arrivées les seize agences de renseignements des États-Unis. C’est un rapport que Bush ne peut pas faire mine d’ignorer. Il va sans dire que les démocrates vont l’exploiter au maximum. La guerre contre « l’extrémisme islamiste » est-elle une guerre défensive nécessaire et légitime menée par l’Occident contre un ennemi fanatique et sans pitié, ou bien est-elle une gigantesque erreur stratégique qui suscite davantage de terrorisme qu’elle n’en élimine ?
Si Bush et Blair ont raison, alors l’Occident doit bien évidemment se défendre et faire les sacrifices nécessaires. Mais s’ils ont tort, si les États-Unis et la Grande-Bretagne sont aujourd’hui moins en sécurité qu’avant, alors pourquoi la guerre ? Ne devrait-on pas y mettre fin le plus tôt possible ? Il faut rappeler ici que la guerre d’Irak, lancée en 2003, a été très largement l’invention des néoconservateurs pro-israéliens de Washington et, plus particulièrement, de quelques hommes qui s’étaient ménagé des positions de grande influence au Pentagone, au Conseil de sécurité nationale et au cabinet du vice-président Dick Cheney. Un « néocon » très en vue, Paul Wolfowitz, alors secrétaire adjoint à la Défense, aujourd’hui président de la Banque mondiale, est généralement considéré comme le principal architecte de la guerre d’Irak. Moins de vingt-quatre heures après les attentats du 11 septembre 2001, il pressait les États-Unis d’attaquer l’Irak plutôt que l’Afghanistan, où Oussama Ben Laden avait trouvé refuge. Wolfowitz et ses amis néocons plaidaient, en fait, pour une attaque contre l’Irak depuis des années.
Leur principal motif semble avoir été d’améliorer l’environnement stratégique d’Israël. Écraser l’Irak et son armée, pensaient-ils, éliminerait toute menace contre l’État hébreu à l’est. Ce serait une défaite pour les forces du nationalisme arabe, de l’extrémisme islamiste et des activistes palestiniens. Ils affirmaient que les intérêts américains et israéliens étaient les mêmes, et qu’une campagne contre ce qu’on appelle aujourd’hui « l’islamofascisme » leur profiterait grandement.
Plus ambitieusement, ils voyaient le renversement de Saddam Hussein comme la première étape d’un programme de remodelage du Moyen-Orient qui le rendrait pro-américain et pro-israélien.
En faisant adopter ces idées, les amis d’Israël ont montré leur capacité à infléchir la politique américaine au Moyen-Orient. Mais c’était une absurdité géopolitique. Au lieu d’être un brillant modèle pour la région, l’Irak est un sanglant guêpier qui engloutit des vies américaines et des milliards et des milliards de dollars – plus de 400 milliards à ce jour, le gouffre se creusant de 9 milliards de dollars par mois. Et l’on n’en voit pas la fin.

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L’Irak se débat dans les affres d’une guerre civile communautaire. Le mois de ramadan va apporter son lot d’atrocités. Près de 7 000 civils irakiens ont été tués durant les seuls mois de juillet et d’août, dont 5 000 à Bagdad. Les morgues débordent. Des cadavres sauvagement mutilés sont balancés chaque jour dans les rues. Près de 200 000 personnes ont fui leur domicile. Un récent rapport de l’ONU indique que la torture est pire qu’au temps de Saddam Hussein.
Loin d’améliorer la sécurité d’Israël, la destruction de l’Irak a fait le jeu de l’Iran, un adversaire beaucoup plus redoutable pour Israël que ne l’était l’Irak, et a renforcé des alliés de l’Iran comme le Hezbollah. L’autorité et le prestige de l’Amérique dans le monde arabo-musulman sont au plus bas. Que faire ? L’opinion américaine est profondément divisée. Les néocons réclament l’envoi en Irak de troupes supplémentaires – en plus des 140 000 soldats qui y sont déjà et que les chefs militaires américains voudraient conserver bien au-delà de la fin 2006. De son côté, l’Église de Bush demande leur retrait. L’évêque Morrison de l’Église méthodiste unie, manifestait en personne, la semaine dernière devant la Maison Blanche.
Trois généraux américains tout juste retraités ont exigé la démission du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, dont ils fustigent « l’arrogance » et « l’incompétence ». Un colonel de la marine, Thomas Hammes, estime qu’il faudrait dix ans à l’Amérique pour gagner la guerre ! Des personnalités en vue telles que George Soros, le milliardaire philanthrope, ont vigoureusement critiqué la notion même de « guerre mondiale contre le terrorisme ». Les conclusions d’un autre rapport, publié à la mi-septembre par le Government Accountability Office, une agence du Congrès chargée d’auditer et de contrôler la politique du gouvernement, sont tout aussi pessimistes. Quand Bush comprendra-t-il qu’il est grand temps de s’en aller ?

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