Halabja, passeport pour l’enfer
Le 16 mars 1988, des avions de l’armée irakienne de Saddam Hussein survolaient Halabja pendant cinq heures, déversant un mélange de gaz de combat. Bilan : environ 5 000 victimes pour ce qui restera comme la plus importante attaque aux gaz de combat contre des civils dans l’histoire.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 1 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.
« Dieu merci, je m’en vais enfin » : tel a été l’unique commentaire murmuré par Ali Hassan al-Majid (66 ans) à l’énoncé du verdict du Haut Tribunal pénal irakien le condamnant à la peine de mort par pendaison, le 24 juin 2007 à Bagdad. Parlait-il de sa condition de diabétique appuyé sur une canne, épuisé par les longues audiences ? Ou simplement de sa vie désormais suspendue au bout d’une corde ? Des deux à la fois, sans doute : depuis des semaines, l’ancien exécuteur des basses uvres de Saddam Hussein ne supportait plus le défilé des témoins venus l’accabler. Tremblotant, les yeux fermés, prématurément vieilli, « Ali le Chimique » ne se faisait aucune illusion sur le verdict.
Comment ne pas se souvenir, pour ceux qui se rendirent à l’époque sur le théâtre de ses crimes, de l’épouvantable opération Anfal que ce cousin de Saddam, originaire comme lui de Tikrit, mena au Kurdistan irakien sur ordre de son maître ? De février 1987 à avril 1988, Ali Hassan al-Majid, alors patron du Baas pour le nord de l’Irak, nettoya cette région rebelle accusée de collusion avec l’ennemi iranien. Déplacements de populations, exécutions collectives, commandos d’extermination : entre 50 000 et 100 000 Kurdes furent massacrés et leurs corps jetés dans des fosses communes.
Civils, tous civils
Surtout, il y eut les gaz. Pour la première fois dans l’Histoire, l’arme chimique fut massivement utilisée contre des civils – et par un dictateur contre sa propre population -, à Halabja, non loin de la frontière iranienne, les 16 et 17 mars 1988. Deux jours plus tard, j’étais sur les lieux.
C’était un dimanche, jour du Nowroz, le nouvel an kurde. Partout, des dizaines, des centaines de corps – cinq mille au total – figés en quelques secondes par des nuages de cyanide et d’ypérite, les yeux ouverts sur l’horreur, la peau décolorée, les doigts convulsés, la bouche maculée d’un filet de salive rouge. Civils, tous civils, vitrifiés par de drôles de petites bombes cylindriques larguées par des Mirage F1 de l’armée irakienne, sur ordre d’Ali le Chimique et de son raïs suprême.
Une image plus que tout autre demeure : celle de cette cave, abri dérisoire, au fond de laquelle, serrés les uns contre les autres, vingt petits êtres désarticulés et deux adultes se tenaient par la main, foudroyés
Bazaris aux larges pantalons, les mains soudées à leurs chapelets, paysans enturbannés, femmes aux bracelets d’or, vieillards mangés de barbes blanches, ribambelles d’enfants en habit chatoyant. C’était jour de marché à Halabja. Des familles entières furent instantanément transformées en statues de cire, comme si une fée maligne les avait plongées dans un sommeil empoisonné, jaune, sale, le dernier cercle de l’enfer. De ce qui fut pour moi un choc majeur qui me hanta pendant des années, une image plus que tout autre demeure : celle de cette cave, abri dérisoire, au fond de laquelle, serrés les uns contre les autres, vingt petits êtres désarticulés et deux adultes se tenaient par la main, foudroyés.
Certes, Ali Hassan al-Majid a commis bien d’autres crimes au cours de sa vie de serial killer. Il fut ministre de la Défense, de l’Intérieur, gouverneur du Koweït en 1990, maître de Bassora. Partout, des traînées de sang. C’est lui qui, sur ordre de Saddam, exécuta les frères Kamel, les gendres félons du raïs, au terme d’une effroyable boucherie. Mais aucun ne peut rivaliser dans l’épouvante avec celui de ce printemps 1988 à l’odeur de gaz moutarde, dans les montagnes kurdes. « Dieu merci, il s’en va enfin », ont dû se dire, outre-tombe, ses victimes. Et peu importe comment.
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