Le chef de l’Etat tire sa révérence

Publié le 1 mai 2005 Lecture : 6 minutes.

Depuis le milieu du mois de février, la vie politique tanzanienne s’anime. Les journaux en anglais ou en swahili n’en finissent plus d’énumérer les candidatures à la présidentielle qui se dévoilent au fur et à mesure, de peser leurs chances de réussite, de spéculer sur leurs stratégies. Dodoma, la capitale administrative du pays qui n’a jamais réussi à ravir son influence à Dar es-Salaam, connaît une activité inhabituelle, avec les chassés-croisés incessants des ministres, députés et autres hommes politiques au quartier général du Chama Cha Mapinduzi (CCM), le parti au pouvoir. Les discussions sur l’identité du futur président vont bon train. Mais bien prétentieux celui qui se risquerait à pronostiquer le nom du finaliste. Il sera connu le 4 mai prochain, à l’issue du congrès au cours duquel le CCM choisira son candidat à la magistrature suprême. Car il ne fait aucun doute que le mouvement au pouvoir, héritier du parti unique de Julius Nyerere, remportera haut la main la majorité des voix des Tanzaniens lors de la présidentielle du 30 octobre, la troisième élection depuis la fin du régime de parti unique en 1992. En 2000, les quinze partis d’opposition n’avaient pas réuni plus de 35 % des voix.
Malgré l’hégémonie du CCM, l’incertitude qui pèse sur l’issue des primaires est une nouveauté pour la Tanzanie. Aucun dauphin n’ayant été désigné par le président sortant, les membres du parti doivent impérativement élire le meilleur d’entre eux. Ce suspense, à sept mois de l’élection, met en effervescence un pays réputé pour sa vie politique stable et sans surprise et réjouit des responsables habitués à respecter le choix de l’homme providentiel. En 1985, Julius Nyerere avait désigné Ali Hassan Mwinyi pour prendre sa place. Et, en 1995, le Mwalimu (surnom de Nyerere, signifiant « enseignant » en swahili) avait imposé Benjamin Mkapa au dernier moment contre le jeune Jakaya Kikwete, pourtant élu par le comité central. En choisissant des outsiders peu charismatiques, Nyerere avait tout fait pour conserver la mainmise sur le parti. Les membres du CCM choisiront-ils de suivre la voie du fondateur, en misant sur celui auquel on ne s’attend pas, ou préféreront-ils écouter les voix de ceux qui ont construit patiemment leurs réseaux, pendant les deux mandats de Mkapa ?
La question se pose aussi de savoir si le CCM voudra favoriser un candidat zanzibari pour la présidence de l’Union. L’histoire politique de la Tanzanie a consacré une alternance de fait entre les présidents issus du mainland (la partie continentale) et les natifs de Zanzibar. Au début, c’était une nécessité voulue par Nyerere pour assurer l’équité de la jeune Union. Ali Hassan Mwinyi, le successeur du Mwalimu en 1985, est zanzibari, et c’est un natif du continent, Benjamin Mkapa, qui a ensuite été élu. Aujourd’hui, certains s’attendent à voir l’alternance respectée, mais Benjamin Mkapa lui-même a tenu à préciser qu’elle n’était pas inscrite dans la Constitution.
À ce jour, deux originaires de l’archipel ont posé leur candidature : Ali Karume, ambassadeur en Allemagne et jeune frère de l’actuel président de Zanzibar, Amani Abeid Karume, et Salim Ahmed Salim, ancien secrétaire général de l’OUA et ancien Premier ministre. La famille de Nyerere lui aurait apporté son soutien (il préside la Mwalimu Nyerere Foundation), un appui de taille, vu l’aura dont bénéficie encore le président fondateur décédé en 1999. Salim peut également compter sur l’appui de ses nombreux contacts à l’étranger. Mais il est mal connu des Tanzaniens, dispose de peu d’argent pour faire campagne et ne bénéficie pas des mêmes réseaux que ses concurrents au sein du parti. Bien qu’il répète qu’on ne juge pas un homme sur son passé et qu’il se soit engagé fortement contre le racisme et les luttes ethniques, il doit également affronter les critiques qui dénoncent son « arabisme », puisqu’il a appartenu à l’Umma, le parti qui soutenait le régime du sultanat à Zanzibar, avant de s’allier au parti africain (Afro-Shirazi Party, ASP) qui a pris le pouvoir lors de la révolution de 1964.
Preuve que le parti ne semble pas vouloir se déterminer en fonction de l’origine de son candidat, neuf autres prétendants sont venus signer leur formulaire de candidature à Dodoma et ont payé le million de shillings requis pour l’inscription (environ 700 euros).
Les Zanzibaris ont donc du pain sur la planche s’ils veulent s’imposer, car à peu près tout ce que la Tanzanie compte de politiciens expérimentés et haut placés a décidé de tenter sa chance. Figurent sur la liste le vice-président du CCM, John Malecela ; Frederik Sumaye, Premier ministre de Mkapa depuis dix ans ; l’ambassadeur en Russie, Patrick Chokala ; le député William Shija ; le vétéran John Chibuda ; l’ancien banquier et homme d’affaires influent Iddi Simba ; et, surtout, l’ambitieux Jakaya Kikwete, ministre des Affaires étrangères depuis 1995, particulièrement populaire au sein du CCM et chez les jeunes. En 1995, il avait déjà gagné le premier tour des primaires au sein du parti, mais, prétextant son jeune âge (Kikwete avait alors 45 ans), Julius Nyerere avait soutenu la candidature de Benjamin Mkapa.
Alors que les spéculations vont bon train, les Tanzaniens se rendent progressivement dans les bureaux électoraux pour se faire enregistrer. Cette année, la Tanzanie a décidé d’investir 35 millions de dollars (dont 9 millions payés par les bailleurs de fonds) dans l’établissement de listes électorales numérisées. Chaque électeur reçoit une carte avec sa photo, son empreinte digitale et un code-barres. Une opération très onéreuse, mais qui devrait permettre une actualisation plus facile et transparente à l’avenir et prévenir les contestations qui avaient suivi le scrutin de 2000 à Zanzibar. Sur le continent, aucun retard ni irrégularité n’ont été jusqu’alors déplorés. Mais, sur l’archipel, la contestation gronde.
Le 30 octobre, les Zanzibaris devront élire leur président et leurs députés. Sur l’archipel, ce n’est pas la sélection des candidats qui pose problème : Amani Abeid Karume devrait se voir reconduire comme chef de file du CCM, tandis que Seif Shariff Hamad a déjà été nommé par le Civic United Front (CUF, parti d’opposition). En revanche, on craint déjà que la violence qui a suivi l’élection de 2000 (voir page XX) ne se renouvelle. n En Tanzanie, la Constitution limite à deux mandats consécutifs l’exercice présidentiel. Et l’idée de contrevenir à cette règle n’a certainement pas effleuré Ali Hassan Mwinyi en 1995, quand il a dû passer la main. Elle n’a pas traversé non plus l’esprit de Benjamin Mkapa, élu en 1995 et réélu en 2000. Le 1er janvier 2006, il quittera donc ses fonctions de chef de l’État. On le dit d’ailleurs fatigué et pressé de prendre sa retraite. Sorti de l’ombre par la volonté du Père de la nation, Julius Nyerere, il devrait y retourner prochainement. Peu charismatique, mais travailleur et consciencieux, Mkapa a pourtant réussi à mener son pays sans troubles, à se faire aimer de son peuple, malgré ses airs distants, et à acquérir une certaine notoriété à l’étranger. Tony Blair n’a-t-il pas intégré ce chantre de l’allègement de la dette et de la lutte contre la pauvreté à la Commission pour l’Afrique, en février 2004 ? C’est à lui que l’actrice américaine Sharon Stone a promis à Davos des milliers de dollars pour l’achat de moustiquaires imbibées contre le paludisme. À l’heure du bilan, Mkapa, 66 ans, peut donc se féliciter d’avoir renforcé l’image de bon élève de la Tanzanie auprès des bailleurs de fonds. Et se targuer d’avoir contribué à l’ouverture économique de son pays tout en maintenant la croissance à un niveau honorable. Toutefois, alors même qu’il en avait fait son cheval de bataille, il n’a pas réussi à enrayer la corruption, ce mal dont la Tanzanie avait été plus ou moins préservée. L’économie de marché l’a fait entrer dans les moeurs. Et l’agence de lutte contre la corruption mise en place à son initiative n’a pas tenu ses promesses. Mais le bilan de Mkapa ne pourra être évalué avant quelques années. Car c’est lui qui a initié et porté le projet d’union douanière entre son pays, le Kenya et l’Ouganda, dans le cadre de la Communauté de l’Afrique de l’Est. Et l’empreinte qu’il laissera dans l’Histoire dépendra beaucoup de ce projet d’intégration.

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