La grande affaire de l’Amérique

Publié le 1 mai 2005 Lecture : 2 minutes.

Donc, me voilà aux États-Unis. Plus précisément à Washington, étrange capitale, avec ses faux airs de grosse bourgade tranquille et ombragée. Il suffit de marcher un peu, de s’éloigner des quartiers bohèmes, de passer devant la Maison Blanche, devant le Congrès pour revenir à la réalité. Ici, vous êtes au centre du monde. Du haut de ses quelques buildings, l’hyperpuissance vous contemple, vous regarde, et elle décide…
Rien d’officiel, mais la guerre contre le terrorisme, la fameuse war on terror que l’on devait mener jusqu’à l’annihilation de l’ennemi a pratiquement disparu des discours de George W. Bush. Le ton martial et la fameuse théorie du « avec nous ou contre nous » – a laissé progressivement la place à une rhétorique étonnante sur la nécessité de promouvoir la liberté. Attablé dans un coin sombre de l’un des bars chic de la capitale, inquiet que l’on puisse nous surprendre, un insider, c’est-à-dire un officiel informé qui informe et qui n’est pas censé le faire, m’explique, contre la promesse d’être en deep, deep, deep background… L’administration, me dit-il, a compris que la force seule ne viendrait pas à bout du terrorisme. Elle a compris que c’était une guerre impossible à gagner sur un plan militaire et qu’il fallait aussi agir sur le terrain politique.

D’où l’importance accrue des mots « liberté » et « démocratie » dans le discours de l’Amérique bushienne. « Néocons » ou non, les gens du président sont persuadés que l’une des causes fondamentales du terrorisme réside dans l’état de paralysie économique et politique des sociétés arabes et musulmanes. Et que les démocraties ne se font pas la guerre entre elles. Donc, CQFD, il faut démocratiser les Arabes. Cette théorie de « la paix des démocraties » n’est pas nouvelle. Elle avait même été formulée par Tony Lake, le national security advisor de Bill Clinton. Mais les attentats du 11 septembre ont introduit l’urgence. Le débat n’a plus rien de philosophique. Il s’agit d’une décision stratégique et vitale. Il faut changer le monde arabe, de gré ou en le poussant dans le dos, pour que l’Amérique se sente en sécurité.

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D’où la conclusion logique que me souffle l’insider. Les membres les plus influents de l’administration sont pratiquement tous d’accord. Il vaut mieux associer les mouvements fondamentalistes, les conservateurs religieux au pouvoir plutôt que les exclure par la force. S’ils gagnent des élections, alors qu’ils gouvernent, qu’ils entrent dans des alliances, qu’ils discutent avec l’Amérique et le reste du monde. Au contact du pouvoir, ils seront exposés à une cure de réalisme. Et mieux vaut avoir un pouvoir constitutionnel même difficile à vivre qu’un pouvoir autoritaire générateur de frustrations. Exemple : l’Irak nouveau, où l’Amérique semble plutôt se satisfaire d’un pouvoir largement dominé par les chiites conservateurs…
Évidemment, tout cela n’empêche pas de gérer les contingences, le prix du pétrole, ou les pays au cas par cas. Mais le cadre général est posé. L’évolution du monde arabo-musulman sera la ou l’une des grandes affaires de l’Amérique pour les années à venir.

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