Conte de fées à Tunis

LE PRINCE, de Mohamed Zran (sortie à Paris le 4 mai)

Publié le 1 mai 2005 Lecture : 2 minutes.

Ce fut l’une des quelques bonnes surprises du dernier Fespaco de Ouagadougou. Bien qu’oublié par le jury à l’heure du palmarès, malgré un prix de consolation du meilleur montage, d’ailleurs bien mérité, ce conte en images, véritable ode à l’amour, a fait souffler un vent de fraîcheur bienvenu sur les écrans burkinabè encombrés de films sérieux qui se prenaient au sérieux.
Modeste employé chez un fleuriste installé au milieu de la principale artère de Tunis, l’avenue Habib-Bourguiba, Abdel, rêveur invétéré, passe plus de temps à regarder les passants qu’à confectionner des bouquets. Ce qui lui vaut, malgré son talent incomparable pour réaliser de superbes compositions florales, des remontrances permanentes de son patron. Ce qui lui permet aussi de « flasher » un jour sur une très jolie femme, Dounia, dont il tombe immédiatement amoureux. Sans lui avoir jamais parlé ni même savoir qui elle est. Pour conquérir l’élue de son coeur, qui se révèle bientôt être… directrice d’une agence de banque, il va inventer, aidé par le sort qui lui permet de la rencontrer au hasard d’une livraison, un stratagème : prétextant ne pas connaître l’expéditeur, il lui amène chaque jour un bouquet de fleurs somptueux.
La dame, intriguée et ravie, se demande bien qui lui rend cet hommage insistant. Jusqu’au moment où le timide Abdel est poussé par ses amis – « fais-le pour nous, pour nous montrer que l’on peut encore rêver » – à passer à l’acte. Il apporte donc à la belle, en sus du bouquet quotidien, une lettre qui lui fixe un rendez-vous pour dîner avec le mystérieux prétendant. Qui se révélera être le livreur-fleuriste-artiste, devant lequel, l’effet de surprise passé, elle va fondre.
Tout le monde aura reconnu un thème universel – la princesse, le pauvre et l’amour – dans cette histoire qui s’apparente à un conte de fées moderne. Mais la force de l’oeuvre tient à ce que ce scénario a priori banal ne leste jamais le film des clichés qu’on pourrait redouter. D’autant que, tout en restant léger d’un bout à l’autre comme il se doit pour une comédie sentimentale, celui-ci nous parle en passant avec finesse de la société tunisienne d’aujourd’hui. Un peu à travers le portrait instantané des hommes et des femmes qui arpentent l’avenue Bourguiba. Surtout à travers des situations révélatrices, et parfois cocasses, que vivent les personnages secondaires de l’histoire : le patron fleuriste, les clients de la banquière, le directeur d’une revue très intellectuelle en faillite, l’homme d’affaires-escroc, l’ami d’Abdel qui, fort peu romantique, ne songe qu’aux femmes à séduire et à la boisson, etc.
Même si le film accuse quelques longueurs, il reste toujours tonique et réjouissant. Il remplit donc fort bien la fonction que son réalisateur Mohamed Zran, déjà remarqué au milieu des années 1990 avec son premier long-métrage, Essaida, lui a assignée : promouvoir « l’amour, l’imaginaire, le rêve, ces valeurs aujourd’hui essentielles pour résister au monde agressif des Bush, Sharon et autres ». Son « prince », à coup sûr, nous invite, avec légèreté même s’il paie le prix de son audace, à ne pas abdiquer devant les fausses fatalités, à résister à la violence qu’infligent les conventions sociales, à refuser les aliénations qu’implique l’entrée dans ce qu’on dit être la modernité, en un mot à préserver des espaces de liberté et à en inventer de nouveaux. Beau programme.

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