Zone de non-droit

Le Delta du Niger, la région pétrolière du pays, est en proie au chaos.

Publié le 1 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

Pas une semaine ne se passe sans que le Delta du Niger, l’une des régions les plus pauvres du Nigeria, et même du monde, ne fasse l’actualité. Et toujours avec de mauvaises nouvelles. Les traders pétroliers de New York et de Londres doivent avoir des sueurs froides lorsqu’ils voient grimper le prix du baril sous l’effet des prises d’otages et des saccages de pipelines dans le Delta. Mais ce sont les victimes de kidnappings qui tremblent le plus. Plus de cent personnes ont été enlevées en 2006. Parmi les derniers rapts en date, celui de deux Italiens et d’un Libanais, en février, a fait chuter de 20 % la production d’or noir dans le pays.
Dans cette région lagunaire du sud du Nigeria, la violence plonge ses racines dans l’isolement et la négligence des autorités, conséquences de la guerre d’indépendance du Biafra (1967-1970). Si un nombre croissant de groupes crapuleux utilisent la pauvreté, les dégâts sur l’environnement de l’exploitation pétrolière et la corruption locale comme autant de justifications morales à la terreur, le problème du Delta du Niger comporte une dimension politique que ni la chute des prix du baril ni la relève à la tête de l’État ne suffiront à résorber.
L’or noir du Nigeria a été découvert en 1956. Un an plus tard, du brut propre à la commercialisation est mis au jour dans l’Ogoniland, au sud-est du Delta. Au cours des quarante années suivantes, 500 000 Ogonis sont chassés de leur maison. Ils ripostent par des attaques d’installations pétrolières qui entravent la production. Ainsi s’enchaînent les événements qui conduisent, en 1995, à l’exécution de Ken Saro Wiwa, écrivain et leader du Mouvement pour la survie du peuple d’Ogoniland (Mosop), à la répression brutale de l’armée et, in fine, à l’expulsion du Nigeria du Commonwealth. Alléchées par les dividendes du pétrole, les autorités choisissent le camp des majors pétrolières, notamment Shell et Chevron, plutôt que celui de l’opinion publique. Les dégâts environnementaux, provoqués notamment par le torchage du gaz que les compagnies promettent toujours d’abandonner mais continuent de pratiquer, ne sont plus à prouver.
À la destruction de l’environnement et des écosystèmes – qui nuit notamment aux exploitations agricoles et à la pisciculture – et à l’expropriation pure et simple des habitants s’ajoute la corruption locale. La hausse des prix du pétrole a un impact direct sur les fonds alloués par l’État fédéral aux dix États de la région du Delta (la loi prévoit que chaque État reçoive une part des revenus nationaux de l’or noir). En 2006, le budget de l’État de Rivers s’est élevé à 1,3 milliard de dollars. L’année dernière comme les précédentes, la cagnotte – l’équivalent du produit intérieur brut de la République centrafricaine – a atterri dans les poches des autorités locales, quand elle n’a pas été affectée à des projets qui n’ont jamais vu le jour. Dans les États du Delta, le contrôle des revenus fait toujours l’objet d’une âpre bataille. Avant les élections générales de 2003, les formations en lice ont arrosé les milices de billets verts pour les rallier à leur cause. Au final, fraudes massives et violences répétées ont accompagné le scrutin. Les observateurs craignent que le scénario ne se reproduise lors des élections générales d’avril.
L’impunité est la règle. Dans un rapport publié en janvier 2007 (et redouté par Abuja), l’ONG Human Rights Watch mentionne le cas du président d’une assemblée locale dans l’État de Rivers, Ephraim Nwuzi, ayant tiré sur trois de ses élus après une dispute. En dépit des témoignages, l’homme est toujours en poste et n’a pas été inquiété par les forces de l’ordre. Dans le Delta, les salles de classe et les hôpitaux sont à l’abandon, alors que les dépenses somptuaires des assemblées locales grimpent. Les États de la fédération ont pourtant un rôle déterminant dans la garantie des services publics. La ville de Khana, dans l’État de Rivers, compte 112 écoles primaires. En 2005, leur budget global de fonctionnement s’élevait à 5 770 dollars, soit 51 dollars par école. 77 000 dollars étaient prévus pour leur rénovation et leur ameublement. Mais rien n’a été fait. Selon le directeur de la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers (EFCC), Nuhu Ribadu, il ne s’agit pas de corruption, mais de « gangstérisme » et de « crime organisé ». Selon l’EFCC, la majeure partie des 380 milliards de dollars détournés entre 1960 et 1999 au Nigeria provenait du Delta.
La région concentre tous les problèmes de la fédération, du manque de transparence au degré aigu de violence ; le Delta est un Nigeria en miniature. Un ajustement de la loi n’aura pas raison du mal. Les gouverneurs locaux, que sont censées contrôler les autorités d’Abuja, bénéficient au contraire de leur protection toute paternaliste. En janvier, six machines servant à l’inscription des électeurs sur les listes sont découvertes dans le bureau de Lamidi Adedibu, chef local de l’État d’Oyo (Sud-Ouest). L’inspecteur de police n’y a rien vu de suspect. Convoqué à Abuja pour s’expliquer, Adedibu n’a pas été inquiété. Un poisson commence toujours à pourrir par la tête, dit le proverbe. Si le sommet de l’État continue à fermer les yeux, qu’espérer pour le Delta ?

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