« Vous êtes parti sans avoir salué le roi »

Eté 1977

Publié le 1 avril 2007 Lecture : 3 minutes.

Mes relations avec Hassan II ont été bonnes jusqu’ici. Elles se nouèrent à Antsirabé, où j’avais accompagné son père, Mohammed V, en juillet 1957, dans son pèlerinage à Madagascar, sur les lieux mêmes où la IVe République, encore plus bête et criminelle que d’habitude, l’avait fait déporter. Le prince héritier pendant ce séjour s’ennuyait. Moi aussi. Il m’invitait dans sa résidence où il me montrait les paires de chaussures innombrables et les centaines de cravates bariolées qu’il avait emportées pour un séjour d’une petite semaine !
Devenu roi, Hassan II m’a invité plusieurs fois par an au Maroc et j’obtins ainsi des scoops non négligeables dont l’AFP n’a eu qu’à se féliciter.
Cette année-ci, comme d’habitude, j’ai été convié à Rabat – voyage, hôtel, payés par le palais – pour fêter l’anniversaire de Sa Majesté, le 10 juillet. La réception, toujours extraordinairement fastueuse, a eu lieu à Dar es-Salam, là où le roi possède l’un de ses nombreux palais et où il joue souvent au golf.
L’invitation est pour 13 heures. À Dar es-Salam, je retrouve quelques amis français de Sa Majesté (en plus de la cohorte des chirurgiens et médecins habituels) : Maurice Druon, Jean Dutourd, Michel Droit, Édouard Sablier. L’attente semble normale. Le roi, chacun le sait, est toujours volontairement en retard. Il a fait attendre la terre entière. Il a fait attendre – plusieurs fois – le général de Gaulle. Il a même fait attendre la reine d’Angleterre.
Nous attendons donc Hassan II sans étonnement aucun. À 14 heures, toujours pas de roi. Je commence à m’inquiéter : j’ai une place de retour dans l’avion qui doit partir de Casa, à la fin de l’après-midi, et à Paris un dîner le soir même, que j’estime ne pouvoir manquer à aucun prix. Au bout d’une heure, je décide de quitter la réception.
Je file tout joyeux, sur la route de Casa, avec Jean Dutourd, quand soudain deux motos de la police marocaine nous doublent, suivies d’une voiture qui se met en travers de notre chemin. Un fonctionnaire marocain en descend, souriant : « Monsieur Mauriac, Sa Majesté veut vous voir. » Je souris à mon tour en regardant ma montre : « Mais vous allez me faire manquer mon avion. » Le fonctionnaire insiste : « Je dois vous amener. » Bêtement je plaisante, mais plus pour longtemps. L’envoyé du roi se fait d’un coup impératif : « C’est un ordre de Sa Majesté ! » Et sa mine s’assombrit. La mienne aussi : il ne faut pas rire avec la police marocaine
Nous faisons demi-tour sur les chapeaux de roue et rentrons à Dar es-Salam. Je suis entraîné devant le roi, en blazer croisé, cravate noire, chaussures et pantalon blancs, lunettes de soleil à la main, cheveux rabattus pour masquer sa calvitie : « Alors, Monsieur Mauriac, on me dit que vous êtes parti ? – Majesté, veuillez m’excuser, mais j’avais un avion à prendre à Casa
– Alors, me coupe-t-il, invité par le roi du Maroc, vous êtes parti sans qu’il vous ait vu ! – Mais, Majesté, je – Monsieur Mauriac vous êtes parti sans avoir salué le roi du Maroc qui vous avait invité ! – Majesté, c’est vrai, je vous prie de me pardonner. »
La foule des invités fait cercle autour de nous. Personne ne rit. À commencer par le roi qui, de sa vie, n’a jamais vu l’un de ses hôtes filer ainsi à l’anglaise. Mes amis français et marocains paraissent consternés. Seul Jean Dutourd garde un flegme souriant.
Le roi poursuit sa leçon : « Vous allez, Monsieur Mauriac, comme il se doit, comme vous auriez dû le faire et comme vous ne l’avez pas fait, honorer l’invitation du roi du Maroc. Vous allez donc déjeuner. Ensuite vous prendrez votre avion à Casa, et vous aurez votre dîner à Paris. Je vous le promets. » Je garde humblement le silence. Puis, le roi reprend : « Est-ce bien ainsi, Monsieur Mauriac ? Cela vous convient-il ? » Et il me tend la main en souriant, apparemment avec chaleur. Puis il me tourne le dos.
Les agents du protocole, pleins d’égards, me conduisent à une petite table où les serviteurs de Sa Majesté, tout de blanc vêtus, me servent avec empressement. Brusquement, un bruit infernal. Un nuage de poussière. Un souffle d’enfer. Les serviettes volent au-dessus des tables. Un hélicoptère vient se poser à quelques mètres des invités. Un officier marocain en grande tenue s’approche de moi : « Monsieur Mauriac, sur ordre de Sa Majesté, veuillez prendre place à bord de l’hélicoptère royal »
À Casa, l’avion de Royal Air Maroc pour Paris nous attend, Jean Dutourd et moi, depuis près de deux heures. Les passagers nous accueillent avec des huées quand nous pénétrons dans l’appareil, où nous gagnons nos places, la tête basse.

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