Ombres sur les législatives

Publié le 1 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

C’est le 5 avril à minuit, dernier délai, que les partis (et coalitions de partis) sénégalais doivent déposer leurs listes de candidats pour les élections législatives du 3 juin. Pourtant, à quelques jours de l’échéance, les états-majors politiques sont davantage préoccupés par d’obscures batailles juridiques que par le laborieux travail d’élaboration desdites listes.
Le 28 mars, la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) d’Abdoulaye Bathily a déposé un recours auprès du Conseil d’État en vue d’obtenir l’annulation du décret présidentiel sur la répartition des sièges de députés entre les départements. Motif : « non-respect du critère démographique ». Le Parti socialiste (PS) d’Ousmane Tanor Dieng devrait lui emboîter le pas. Décidément, l’histoire bégaie : au début de l’année, ces deux formations avaient obtenu l’annulation du précédent décret de répartition, datant de décembre 2006. Le verdict du Conseil d’État avait d’ailleurs entraîné le report des législatives, qui auraient dû avoir lieu en même temps que la présidentielle, le 25 février.
À l’époque, la LD/MPT et le PS avaient été accusés d’offrir au pouvoir un prétexte en or pour différer une consultation lourde de dangers (pour lui). Pourquoi récidiver aujourd’hui ? Pour refuser le fait accompli d’un régime qui s’obstine ?à ne pas tirer les conséquences d’une décision de justice ? Parce que, mal remis de leur cruelle défaite à la présidentielle, ils ne se sentent pas prêts à affronter les législatives ?
?La seconde hypothèse paraît la plus vraisemblable. D’autant que les leaders de l’opposition jugent leur défaite inéluctable si le processus électoral n’est pas profondément modifié. Dans un mémorandum (non rendu public) adressé le 26 mars au président Abdoulaye Wade, Bathily et Tanor, rejoints par Idrissa Seck, de Rewmi, Moustapha Niasse, de l’Alliance des forces de progrès (AFP), et Amath Dansokho, du Parti de l’indépendance et du travail (PIT), exigent qu’une « concertation sérieuse s’engage entre le chef de l’État et l’ensemble des acteurs politiques et de la société civile » pour faire en sorte que le scrutin soit « sincère, régulier et transparent ». Les signataires réclament « la remise à plat du fichier électoral ; la transparence et la sécurisation du vote des militaires et des paramilitaires ; le plafonnement et le contrôle des dépenses électorales ; et la création, sur un mode consensuel, d’une structure indépendante chargée de l’organisation de la consultation ».
Si ces revendications ne sont pas satisfaites, l’opposition envisage de boycotter les législatives, afin de ne pas « être complice d’une forfaiture » et de « servir de faire-valoir à une compétition électorale faussée de bout en bout ». Mais Wade ne l’entend manifestement pas de cette oreille. « Qu’ils boycottent s’ils le désirent, le fichier électoral et la Commission électorale nationale autonome resteront en l’état », aurait-il confié à l’un de ses proches. Le chef de l’État reproche à ses adversaires de « chercher à jeter le discrédit sur la présidentielle du 25 février », pour justifier leur défaite, et sur « notre modèle électoral que nous sommes pourtant en passe d’exporter ».
Autre pomme de discorde : la loi imposant la parité des sexes sur les listes de candidats soumis au scrutin proportionnel (d’autres le sont au scrutin majoritaire). Le texte a été soumis à l’Assemblée nationale le 27 mars. Au terme d’une procédure d’urgence, il devrait être applicable avant le 5 avril. Les partis d’opposition y voient une manuvre pour compliquer la désignation de leurs candidats.
Ces désaccords sur les règles du jeu font courir de sérieux risques au modèle démocratique sénégalais. Va-t-on vers une nouvelle annulation du décret de répartition, et donc vers un nouveau report du scrutin ? L’opposition va-t-elle faire machine arrière ou, au contraire, boycotter la consultation ? Dans cette dernière hypothèse, le parti présidentiel se retrouverait avec pour seuls adversaires de toutes petites formations comme And-Jëf, de Landing Savané.
Cette dernière, qui estime ne pas appartenir à l’opposition, peine pourtant à retrouver sa place au sein de la mouvance présidentielle. Wade, en effet, ne pardonne pas à Savané une petite phrase assassine, au cours de la dernière campagne électorale, concernant sa participation passée au gouvernement : « On peut être au milieu de voleurs et ne pas en être un. » Par l’intermédiaire de Mamadou Diop Decroix, son second, le leader de And-Jëf a lancé de nombreux appels du pied en direction de « Gorgui » (le « Vieux »), comme on surnomme ici le président sénégalais. Sans succès : il risque bien d’être contraint d’aller au feu électoral sous sa propre bannière.
Chef de facto de l’opposition depuis sa deuxième place à la présidentielle, l’ancien Premier ministre Idrissa Seck s’est lancé le défi de réunir sur une liste commune tous les partis d’opposition de quelque importance. Pour y parvenir, il serait même prêt à renoncer à en prendre la tête. L’objectif de l’opération est évidemment de modifier le rapport des forces en faveur de l’opposition, de manière à empêcher le chef de l’État de mettre à exécution sa menace de poursuivre en justice ses adversaires de la présidentielle.
Début mars, surmontant la sourde hostilité qui l’oppose à Niasse, Seck a entrepris de discuter avec lui : plusieurs rencontres ont eu lieu. Son objectif est à présent de prendre langue avec Tanor. Mais Bathily, qui, en décembre 2006, constitua avec les deux hommes la défunte coalition « Jamm-Ji », paraît résolu à contrarier l’opération. Seck est donc confronté à deux délicats problèmes : faire cohabiter Niasse et Tanor, dont la vieille rivalité a fait perdre le pouvoir au PS, en mars 2000 et neutraliser Bathily.
Reste qu’au-delà de ces jeux d’appareils dans la grande tradition sénégalaise, il serait grave que les législatives, déjà reportées à deux reprises, ne puissent se tenir à la date prévue.

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