Noire, sarkoziste et fière de l’être

Publié le 1 avril 2007 Lecture : 7 minutes.

Secrétaire nationale de l’UMP chargée de la Francophonie, Rama Yade, 30 ans, est l’une des douze femmes promues dans les instances de ce parti le 8 mars 2006. Née à Dakar et diplômée de Sciences-Po, elle est administratrice au Sénat depuis 2002. Elle est également vice-présidente du Club XXIe siècle, qui milite en faveur de la diversité, et vient de publier Noirs de France, les nouveaux Neg’Marrons, Récit d’un rendez-vous manqué entre la République et les Afro-Antillais (éd. Calmann-Lévy). Rencontre avec l’une des figures montantes de l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy.

Jeune Afrique : Si l’on en croit les résultats du sondage réalisé par l’Ifop pour notre hebdomadaire, seuls 11 % des électeurs français d’origine africaine s’apprêtent à voter Sarkozy…
Rama Yade : Ces 11 % me surprennent. Je pensais qu’il y en aurait moins !

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Près d’un quart de ces 11 % ont plus de 50 ans. Manifestement, votre nomination et celle de Rachida Dati n’ont guère eu d’effet sur les jeunes
Ne prenez pas les Français d’origine africaine pour des idiots. Comme si les gens allaient se déterminer pour Nicolas Sarkozy uniquement à cause de Dati ou de moi ! À l’UMP, personne ne m’a demandé d’aller chercher les voix des minorités. Un jour, un élu m’a proposé de participer à un colloque sur la diversité. Sarkozy lui a sèchement répliqué que je n’avais pas vocation à être cantonnée à ce genre de sujet.
Vous savez, cela fait trente ans que les Africains accordent leur vote à la gauche, qui a fini par considérer ce suffrage comme acquis d’avance. Raison pour laquelle, sans doute, elle se croit autorisée à ne rien faire en leur faveur. Que les électeurs d’origine africaine lui demandent au moins de prendre quelques engagements !

Qu’est-ce qui vous a incitée à faire de la politique ?
Plusieurs facteurs ont joué. Après quatre ans de travail parlementaire, j’ai eu envie d’exprimer quelque chose de personnel, en tant que citoyenne. J’uvrais dans des clubs réunissant l’« élite » des Français issus de l’immigration, dont l’objectif est de mettre un peu plus de couleurs dans les sphères de pouvoir. J’ai ressenti le besoin de prolonger cette implication associative en politique. C’était en 2005
Cette année-là, plusieurs immeubles parisiens avaient été ravagés par des incendies. Presque toutes les victimes étaient d’origine africaine. Sous le pseudonyme d’Aminata Fall, le nom de ma grand-mère maternelle, j’ai publié dans Le Monde une tribune pour exprimer ma colère quant à la manière dont celles-ci étaient présentées par les médias, à savoir comme des squatteurs étrangers alors que la plupart étaient de nationalité française. J’ai réalisé à ce moment-là que les Français avaient décidément bien du mal à considérer les Noirs comme des compatriotes. Tout cela a déclenché un processus qui m’a conduit à la politique.

Ne craignez-vous pas d’être cataloguée comme la « Noire de service » de l’UMP ?
Si l’UMP avait eu besoin de Noirs, il lui aurait suffi de se baisser pour en ramasser : avant mon arrivée, elle en comptait déjà beaucoup dans ses rangs. Quant à ceux qui veulent me voir comme la Noire de service, comme une « Bounty » ou je ne sais quoi, pourquoi n’ont-ils rien dit quand je passais des concours difficiles où j’étais souvent la seule Noire ? Dans ces conditions, il faut aller jusqu’au bout et me considérer comme la Noire de service à Sciences-Po, au Parlement, voire, pourquoi pas, à l’épicerie du coin !
À l’évidence, certains considèrent qu’un Noir qui réalise des choses est forcément instrumentalisé ou n’a pas toute sa tête. J’y vois une forme de racisme. M’auriez-vous posé cette question si j’avais été blanche ? Certainement pas. En tant que responsable politique, vous m’auriez interrogée sur mes idées, mes projets, mes objectifs. Mais tout cela ne vous intéresse pas. Cela signifie que vous me voyez comme Noire et rien d’autre. D’ailleurs, et cela remonte à loin dans le temps, ce sont le plus souvent des Noirs qui traitent d’autres Noirs de « Noir de service ». Tout se passe comme si les Noirs n’avaient pas tout à fait intégré l’idée que, comme le reste de l’humanité, ils peuvent décider librement de leurs choix. Eh bien ! il va falloir vous faire à cette idée qu’il y a des Noirs qui savent prendre leurs décisions comme des grands, choisir d’adhérer à un parti sans que personne ne les y oblige, défendre des convictions sans qu’elles leur soient imposées par quiconque.

Que pensez-vous pouvoir apporter aux minorités visibles ?
Je n’ai aucune vocation à représenter les minorités visibles, comme vous dites, parce qu’elles ne m’ont pas élue. La légitimité ne s’obtient pas par décret ou par la volonté d’un parti, mais par une élection. Ma seule ambition est de servir là où j’estime pouvoir être utile. Et pas seulement sur les questions d’intégration. Comme n’importe quel responsable politique, je m’exprimerai sur tous les sujets qui m’intéressent, comme l’emploi, la fiscalité ou l’agriculture. Il est temps de sortir de cette logique où les « bougnoules » parlent aux « bougnoules » !

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Êtes-vous favorable à la discrimination positive ?
Oui, parce qu’il y a urgence sociale. On peut penser ce qu’on veut de la discrimination positive, mais les minorités n’ont pas intérêt à se tirer une balle dans le pied en étant contre. Arrêtons de tourner comme on le fait depuis trente ans autour du concept creux de l’égalité des chances. Si ça marchait, on le saurait et les émeutes de banlieues, en 2005, n’auraient jamais eu lieu ! Par ailleurs, je conteste que la discrimination positive soit antirépublicaine, comme on le dit parfois. La preuve, c’est qu’elle a été mise en place pour les femmes en politique et pour les personnes handicapées dans les entreprises.

Votre position sur l’immigration ?
Du point de vue des Français ou de celui des Africains ? Ce qui me semble fondamental, c’est à la fois le point de départ : le développement de l’Afrique ; et le point d’arrivée : la vie des minorités en France. Tant que ces deux questions ne seront pas réglées, l’immigration restera un problème. Je suis convaincue que le développement de l’Afrique ne viendra pas des pays du Nord, parce qu’ils ont bien d’autres problèmes à régler et que nous sommes dans un système où règne le chacun pour soi. Le sursaut ne peut venir que de l’Afrique elle-même.

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Vous estimez que les minorités attendaient beaucoup de la gauche et que celle-ci n’a cessé de les décevoir. Mais qu’a donc fait la droite depuis cinq ans ?
La droite est certes loin d’être parfaite, mais je trouve que, sur ces questions d’intégration, elle est un peu en avance. On peut porter à son crédit, par exemple, la nomination de ministres et de hauts fonctionnaires d’origine étrangère, la relance du débat sur le vote des étrangers, la suppression de la double peine – deux propositions socialistes restées dans les cartons depuis 1981 -, la discrimination positive, à laquelle la gauche se contente de s’opposer sans rien proposer d’autre… En ce qui me concerne, j’ai convaincu l’UMP de prendre certaines initiatives comme la nomination de hauts fonctionnaires d’origine africaine, l’entrée d’autres Africains d’origine dans l’état-major du parti, sans parler de la redéfinition des relations France-Afrique. Vous ne voyez peut-être pas encore le résultat de notre travail, mais je n’ai qu’un an d’ancienneté ! Laissez-nous le temps de travailler et vous nous jugerez sur pièces.

Comme Ségolène Royal, vous êtes née à Dakar. Pourtant, tout vous oppose
Sans doute, elle est socialiste, je suis de droite. Mais je n’ai rien contre elle à titre personnel. Nous sommes dans des logiques politiques différentes, voilà tout. Un seul exemple : dans son « pacte » présidentiel, elle fait cent propositions, mais aucune ne concerne la lutte contre les discriminations. Ce qui provoque d’ailleurs la colère des minorités du PS.

Quel genre de « patron » est Nicolas Sarkozy ?
Il me semble qu’il est véritablement convaincu de la nécessité de lutter contre les discriminations, sans doute parce qu’il est lui-même fils d’immigré. S’agissant de la discrimination positive ou de sa proposition de faire voter les étrangers aux élections locales, Nicolas Sarkozy sait très bien que l’électorat de droite n’y est pas favorable. Il n’ignore pas non plus que les minorités ne voteront majoritairement pas pour lui. Pourtant, il maintient ses propositions.
Avec moi, il s’est toujours comporté de manière courtoise et n’a pas hésité à me donner ma chance. Il accepte que je lui dise les choses franchement. Au mois de janvier, par exemple, je suis venue lui soumettre certains désaccords. Il m’a répondu : « Dans ce cas, tu t’exprimeras lors du congrès qui désignera notre candidat à la présidentielle, tu seras libre de dire ce que tu veux. » Quelques semaines plus tard, le jour de la réunion des comités de soutien à la Mutualité, je suis réveillée à l’aube par l’un de ses conseillers, qui me demande de prendre la parole, deux heures plus tard. Je lui demande pourquoi on me prévient si tard. Il m’explique que Sarkozy a manifesté son mécontentement en découvrant que mon nom n’était pas sur la liste des orateurs. Il ne souhaite pas que ce soient toujours les mêmes qui s’expriment. Je trouve que c’est plutôt un signe d’ouverture, non ?

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