Manifeste pour le rêve

Publié le 1 avril 2007 Lecture : 2 minutes.

« Ô gens de bien ! Écoutez ce message ! Notre princesse souffre d’un mal étrange ! Qui trouvera remède à sa maladie aura une poignée de rubis ! » J’avais 6 ans lorsque j’ai joué cette pièce sur la place de mon village. On m’avait attribué le rôle de la princesse, mais elle ne disait mot. Moi, je voulais celui du barrah, ce crieur public qui avait le privilège de sillonner les rues et de donner de la voix. Aujourd’hui, j’ai bien envie de prendre ma revanche et de rentrer dans la peau du personnage. Je crierais : « Oyez, oyez, chers lecteurs de J.A. ! Le monde est bien malade et la planète va mal ! L’Afrique saigne de ses conflits et l’Irak se meurt ! Depuis le 11-Septembre, les faits divers font l’Histoire et la télé a supprimé la géographie. Ô, chers lecteurs du royaume de J.A. ! J’ai trouvé le remède pour que vous vous échappiez de ce monde fou, la cachette où vous rêverez à loisir ! C’est sur Internet. Il suffit de cliquer sur www.laroutedelissa.com et vous voilà au large ! Au pays des héros et des légendes ressuscités par une course à la voile en hommage à la reine Didon [autre nom d’Elissa], fondatrice de Carthage, 2000 ans avant Jésus-Christ. »

L’organisateur de cette compétition exclusivement féminine lancée en 2004, un Tunisien du nom de Najib Gouiaa, invite sur son forum à réfléchir sur sa troisième édition. Après un Tyr-Carthage puis un Carthage-Tyr, torpillé par l’agression israélienne du Liban en août dernier, pourquoi pas un Carthage-Rome pour 2007 ? Avalanche de réactions ! L’on discute, l’on se fâche, l’on se délecte. Pas question que Didon aille à Rome ! protestent les uns, ce n’est pas conforme à la légende. Les sept années de son périple en mer l’avaient menée vers Syrte et Chypre, non pas vers l’Italie ! Qu’importe, répondent d’autres, les légendes sont faites pour être réinventées.
Ce n’est pas le point de vue de Hédi, pour qui Elissa ne peut aller sur les traces de celui qui avait choisi de l’abandonner, Énée le traître. Et s’il plaît aux femmes de dépasser la haine pour favoriser la paix ? rétorque Nallo. Et pourquoi les hommes invoquent les « nanas » lorsqu’il s’agit de couvrir leurs défaites et les rentrent à la maison en temps de victoire ! s’indigne une autre dame. Doucement ! clame Paolo, doucement ! Demandons-nous plutôt pourquoi le Nord n’irait pas vers le Sud, et Énée vers Elissa. Parce qu’il est temps d’initier le parcours contraire, intervient l’organisateur, le Sud allant vers le Nord, l’Afrique ne se posant plus en victime, laissant de côté hargne et récriminations.

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OK, concède un anonyme, mais il ne faut pas oublier le contexte actuel. Lorsqu’elle sera à mi-chemin entre Carthage et Rome, du côté de Lampedusa, Elissa sera une harraga, forcément, une clandestine d’aujourd’hui. Les gardes-côtes italiens lui demanderont son visa et la jugeront persona non grata. À moins qu’ils ne la reconnaissent comme une des leurs
Pendant ce temps, le monde continue à ne pas tourner rond. Justement parce qu’il a oublié la profondeur du temps et l’espérance contenue dans la mémoire. Parce qu’il ne sait plus la capacité des légendes à retisser les relations humaines. Et celle de l’Histoire à trouver des remèdes aux maladies du présent.

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