Le syndrome Savimbi

Publié le 1 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

C’est un scénario à la congolaise, où le tragique côtoie le mauvais comique. Des dizaines, peut-être des centaines de morts, les 22 et 23 mars à Kinshasa, au cours d’affrontements sanglants entre l’armée du président Joseph Kabila et les miliciens de Jean-Pierre Bemba La déroute de ces derniers, la fuite de leur chef à l’ambassade d’Afrique du Sud et son inculpation pour « haute trahison »… Des accusations réciproques d’assassinats programmés entre les deux adversaires à l’élection présidentielle de novembre 2006 Le pire, en somme. Et le dénouement en forme de pantalonnade, tel qu’il s’esquissait au cours des derniers jours du mois de mars : le départ de Bemba pour sa propriété portugaise de Faro, afin de se remettre de ses émotions et d’y soigner les séquelles d’une vieille blessure à la jambe opportunément réveillée. La savane est dévastée, les éléphants, eux, finissent toujours par s’entendre.
Quoique Entre le fils du Mzee et le fils du milliardaire, il semble bien cette fois que la messe soit dite. En témoigne l’état d’esprit, très remonté aux dires de ceux qui l’ont approché au cours des derniers jours, de Kabila. « J’ai dit, lors de mon investiture, que la récréation était terminée. On ne m’a pas cru et l’on a eu tort, répète-t-il. Vous étiez habitués à un Kabila cool et conciliateur, vous allez avoir affaire à un nouveau Kabila. »
Le chef de l’État ne cache pas l’agacement que lui inspirent les Casques bleus de la Monuc, dont le rôle a été, à ses yeux, « ambigu » pendant la crise : « Ils ont déployé leurs blindés autour des installations de Bemba, comme s’ils le protégeaient. Ils passent leur temps à parler de dialogue et de réconciliation, mais tout cela est dépassé. J’ai été légitimement élu, place à la loi et à l’ordre. » Et cela, quels que puissent être les dégâts collatéraux, « déplorables, mais inévitables dans une situation de ce genre, comme le montre l’exemple de l’armée américaine à Bagdad ».
Si Kabila a manifestement choisi d’écouter l’aile dure de son entourage, c’est qu’il est persuadé que son adversaire – lequel, quelques jours avant le début des affrontements, avait donné une interview d’une grande violence à la presse locale – voulait le tuer. Lorsqu’il a appris que le plan de Bemba était, dit-il, « de prendre le contrôle des points stratégiques de Kinshasa », il a aussitôt décidé de précipiter le désarmement des quelque deux cents éléments du Détachement de protection présidentielle (DPP), la garde prétorienne du chef du MLC. À l’en croire : « Bemba complotait cyniquement une insurrection, un coup d’État et mon propre assassinat. » Réalité ou prétexte ?
Bemba dément, bien sûr, et retourne l’accusation de tentative d’homicide contre Kabila. Reste que les partisans de ce dernier font, à l’appui de leur thèse, circuler un document de six pages daté du 3 mars. Attribué au chef des opérations du DPP, Genganze Baso, il est intitulé « Ordre opérationnel ». Ce texte manuscrit, saisi, affirme-t-on, lors du sac de la résidence privée de Bemba sur les rives du fleuve Congo – mais qui n’a pas encore pu être authentifié -, est un plan très précis de la « conquête de Kinshasa » par le DPP, renforcé de divers éléments de l’ex-Armée de libération du Congo. Bemba y est appelé « notre VIP » ou encore « Diamant » et les objectifs (Camp Kololo, Palais de la nation, aéroport de N’Djili, Camp Tshatshi, radiotélévision, centrale électrique, etc.) y sont détaillés avec précision. « Le gouvernement en place, avec la complicité de l’état-major général, se prépare à procéder par surprise au désarmement du DPP et à détruire notre VIP », peut-on lire. Une course de vitesse se serait donc engagée entre les deux camps, avec le résultat que l’on sait.
Militairement, Bemba n’existe plus à Kinshasa. La plupart de ses hommes se sont rendus, d’autres ont fui à Brazzaville ou ont trouvé refuge auprès de la Monuc. Dans son fief de l’Équateur, l’intégration et le désarmement de ses miliciens est en cours et l’on voit très mal la communauté internationale – qui le tient pour le responsable principal des derniers événements – le laisser fomenter une nouvelle guérilla.
Politiquement, forts des 42 % des voix obtenus à la présidentielle et des 13 % des sièges qu’ils détiennent au Parlement, le sénateur Bemba et son parti, le MLC, demeurent la principale force d’opposition. Deux solutions sont dès lors envisageables. Soit Jean-Pierre Bemba attend démocratiquement la prochaine échéance nationale, en novembre 2011, pour tenter à nouveau sa chance dans les urnes. Soit il laisse s’imposer une solution à la Jonas Savimbi, dont il serait la victime. Des proches de Joseph Kabila rappellent en effet volontiers, ces jours-ci, que seule la disparition (physique, en l’occurrence, mais politique, on l’imagine, dans le cas de Bemba) du très charismatique leader de l’Unita avait permis aux protagonistes du conflit angolais de retrouver les chemins de la paix civile – et d’entamer la reconstruction du pays.

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