Et maintenant ?

Sidi Ould Cheikh Abdallahi a été élu sans discussion, le 25 mars. Quelle politique le nouveau président entend-il mener ? La composition de son gouvernement fournira de premières indications.

Publié le 1 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

C’est un homme doux, courtois et consensuel, qui se veut l’apôtre du « changement dans la sérénité » et entend être « le président de tous les Mauritaniens ». Ayant obtenu, le 25 mars, 52,85 % des suffrages exprimés (pour un taux de participation de 67,44 %), c’est lui qui sera investi le 19 avril au Palais des congrès, à Nouakchott. À l’issue d’un scrutin dont la transparence a été saluée par le millier d’observateurs présents sur le terrain, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, 69 ans, l’a en effet emporté de justesse sur Ahmed Ould Daddah, 66 ans, opposant de toujours au régime de Maaouiya Ould Taya. Son élection consacre le retour au pouvoir des civils, qui en étaient tenus à l’écart par les militaires depuis le coup d’État du 10 juillet 1978. Le premier d’une longue série…
Dans un pays habitué aux mascarades électorales, jamais la lutte n’avait été aussi serrée, l’issue aussi incertaine. In fine, 40 335 voix seulement séparent les deux adversaires. À coups de conférences de presse et de déclarations fracassantes, de rumeurs d’achats de voix lancées, çà et là, par des partisans trop zélés et de contacts assidus avec les « grands électeurs », ces autorités morales dont les consignes de vote sont généralement suivies, « Sidi » et son « ami Ahmed », comme il l’appelle volontiers, se sont disputé un à un les suffrages. La bataille a culminé – une première en Mauritanie – lors d’un débat télévisé de deux heures et demie, au demeurant fort courtois. Elle a été d’autant plus âpre que les belligérants ont des profils assez semblables. Issus de familles maraboutiques aisées, ils sont de la même génération, économistes de formation et ont été l’un et l’autre ministres de Moktar Ould Daddah.
La grande différence est que, seize années durant, Ahmed Ould Daddah a eu beaucoup à souffrir du régime Ould Taya. Dans un pays où tout le monde, ou presque, a tiré profit de la gabegie instaurée par l’ancien système, son désir de revanche supposé a sans dou te effarouché nombre d’électeurs. « Son ton radical, confirme une journaliste, a fait peur à l’élite arabo-berbère, qui, occupant de fortes positions socio-économiques, n’a évidemment aucune envie de les perdre. » Sur tous les grands dossiers hérités du passé – corruption, répression des Négro-Mauritaniens au tournant des années 1980, esclavage -, « Sidi » a pratiquement les mêmes positions que son rival. Mais lui, il rassure. C’est probablement le secret de la victoire de ce technocrate discret réapparu sur la scène politique en juillet 2006, après près de quinze ans d’exil au Koweït et au Niger.
Ould Daddah apparaît avant tout, à tort ou à raison, comme un chef de parti (le Rassemblement des forces démocratiques) pugnace, voire un peu caractériel. À l’inverse, l’ancien ministre des Pêches d’Ould Taya est vierge de toute étiquette politique et a beaucoup travaillé son image de rassembleur. La stratégie s’est révélée payante.
C’est à lui que Messaoud Ould Boulkheir, arrivé en quatrième position au premier tour (9,8 % des suffrages), a apporté in extremis, le 19 mars, son soutien. Ce ralliement a été déterminant : largement suivie, la consigne de vote en forme de caution morale du charismatique et impétueux défenseur de la cause des Haratines [descendants d’esclaves] a notamment permis à « Sidi » de l’emporter de justesse (51,3 %) à Nouadhibou, où il n’avait réalisé qu’un médiocre score au premier tour (10,5 %).
C’est aussi vers lui que s’est tourné Zeine Ould Zeidane, l’ancien gouverneur de la Banque centrale, qui avait recueilli 15,27 % des suffrages lors de la première manche. Grâce à ce soutien, le vainqueur a réalisé des scores impressionnants dans le Hodh el-Gharbi et le Hodh Echarghi, deux importants réservoirs de voix de l’est du pays (voir carte). En revanche, la consigne d’Ould Zeidane est restée sans effet à Nouakchott, où Ould Daddah l’a emporté.
Les deux principaux alliés du nouveau président, qui ne se sont pas fait prier pour apparaître en public à ses côtés au lendemain de sa victoire – alors qu’ils s’étaient fait désirer deux jours avant le scrutin -, ont probablement trouvé en Sidi Ould Cheikh Abdallahi un chef plus accommodant que son adversaire. « Ahmed est impulsif, Sidi est constant, commente un ami des deux hommes. Ahmed peut vous interrompre brutalement, Sidi vous écoutera trois heures durant sans broncher. Ahmed a tendance à vouloir imposer ses vues, Sidi préfère le consensus. » Pourtant, ce sont surtout des pressions de dernière minute qui ont influé sur la décision d’Ould Zeidane. Alors qu’il était sur le point de conclure un accord avec Ould Daddah, celui-ci a finalement cédé aux appels des puissances économiques, effrayées par la perspective d’un changement trop radical, et de sa base électorale traditionnelle, dans l’Est.La vive animosité existant entre Ould Boulkheir et Ould Daddah, deux caractères bien trempés (« Ils se détestent cordialement », juge un observateur), explique par ailleurs le coup de théâtre qu’a constitué le ralliement du premier à « Sidi », que les partisans d’Ould Daddah ont vécu comme une trahison. Ould Boulkheir aurait également reçu la promesse de la présidence de l’Assemblée nationale. « À l’exception de ce poste, le vainqueur n’a rien promis à personne », assure l’un de ses proches.
Membre de la confrérie tidjane, qui a essaimé de part et d’autre du fleuve Sénégal, Cheikh Abdallahi a manifestement obtenu la confiance d’une partie de l’électorat négro-mauritanien de la Vallée, qui avait voté pour Ibrahima Moktar Sarr au premier tour. « Culturellement, Sidi est imprégné de toutes les réalités mauritaniennes », explique l’un de ses proches.
C’est sans triomphalisme que le gagnant a savouré sa victoire. Et dans la dignité que le perdant a reconnu sa défaite. Alors que la classe politique redoutait une contestation violente des résultats par les partisans d’Ould Daddah, celui-ci, dès le lendemain du vote, a adressé à son adversaire un message de félicitations et lui a souhaité « plein succès ». En réponse, le nouveau président lui a téléphoné. Le même jour, dans sa première déclaration de chef de l’État, il s’était déclaré « ouvert à tous pour assurer une participation aussi large que possible à la construction de notre pays »… Bref, « Sidi » et « Ahmed » s’estiment et se respectent, comme en témoigne leur rencontre dans les minutes qui ont précédé leur débat télévisé. Avant d’entrer sur le plateau, l’un et l’autre avaient fait part à leurs collaborateurs de leur désir de saluer leur concurrent… Passé le moment d’inévitable déception, les électeurs d’Ould Daddah ont, dans leur grande majorité, accepté le résultat. Commentaire d’un commerçant sur le marché de Nouakchott, le lendemain du scrutin : « Moi, j’ai voté pour Ould Daddah, mais ça ne me pose aucun problème que Sidi ait gagné. La démocratie, c’est comme ça. »
Même ses adversaires les plus résolus ne contestent pas l’honnêteté de Cheikh Abdallahi. À l’époque (1986-1987) où il était ministre de la Pêche, il sut résister aux pressions insistantes de certains de ses collègues du gouvernement qui voulaient obtenir l’immatriculation de bateaux de pêche. Résistera-t-il encore ? « Autour de lui, il y a des têtes qu’on n’a plus envie de voir », proteste un intellectuel, allusion à certains barons de l’ancien régime. Ses proches le disent « très ferme », ceux qui ne le connaissent pas ne demandent pas mieux que d’être surpris.
« En fonction de la composition de son gouvernement, on verra s’il est un homme de paille ou un homme à poigne », analyse l’un de ses partisans, qui n’ignore pas qu’une rumeur insistante tente d’accréditer l’idée que Cheikh Abdallahi aurait été placé là par Ely Ould Mohamed Vall, le président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), dans l’attente de la présidentielle de 2012. La mise en place d’un gouvernement de « large consensus » est pratiquement acquise. Ould Daddah en sera-t-il ? « Non, ce serait humiliant pour lui », pronostique un journaliste. Au RFD, son parti, on hésite entre participation et opposition, à laquelle un projet d’ordonnance du 23 mars accorde un statut juridique et institutionnel. Du côté de Saleh Ould Hanenna, Ibrahima Sarr et Mohamed Ould Maouloud, trois recalés du premier tour, une participation au gouvernement est envisageable, pourvu qu’elle soit commune. Mais Cheikh Abdallahi devrait choisir un Premier ministre technocrate, et non politique. Quoi qu’il en soit, il devra réaliser un savant dosage tribal et ethnique afin d’engager la construction de l’« unité nationale », à laquelle il a déclaré tenir.
Il dispose déjà d’une majorité confortable à l’Assemblée, avec 54 députés « indépendants » (sur un total de 95), auxquels il faut désormais ajouter les 6 élus de l’Alliance populaire progressiste (APP), le parti d’Ould Boulkheir. « L’appel du pouvoir va fonctionner à plein, prévoit un conseiller ministériel. C’est maintenant que la transition commence vraiment. Dans cinq ans, on verra si la Mauritanie a atteint le point de non-retour. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires