Au temps des ministres africains
Combien de jeunes Français savent-ils que le deuxième personnage de leur pays a longtemps été un Noir ? Combien connaissent le nom de Gaston Monnerville, président du Sénat de 1958 à 1968 ? Pendant les dix années qu’il a passé à la tête de la Chambre haute, ce brillant homme politique né à Cayenne (Guyane) n’a pourtant pas fait de la figuration, se distinguant par une opposition constante au général de Gaulle.
Si l’on remonte le temps, le premier parlementaire noir français était lui aussi originaire de la région caraïbe : Jean-Baptiste Belley, élu de Saint-Domingue (futur Haïti) à la Convention (1794) puis aux Cinq Cents sous le Directoire. On ne sait pas grand-chose de lui, mais ses traits ont été immortalisés par un célèbre portrait du peintre Girodet.
Le premier député subsaharien sera un Sénégalais. Né à Gorée en 1872, Blaise Diagne entre au Parlement français en 1914. Pendant la Première Guerre mondiale, il jouera, aux côtés de Georges Clemenceau, un rôle important (et très controversé jusqu’à ce jour) en faveur de la mobilisation de dizaines de milliers de tirailleurs. En décrochant, au soir de sa vie, en 1931-1932, le portefeuille de sous-secrétaire d’État aux Colonies dans le gouvernement de Pierre Laval, il sera aussi le premier ministre noir de l’histoire française.
Il faudra attendre quinze ans pour retrouver un Africain, sénégalais lui aussi, dans un gouvernement français : en décembre 1946, Lamine Guèye, maire de Dakar, devient sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil. Le suivront, en août 1954, le député de Haute-Volta (Burkina actuel) Joseph Conombo, nommé secrétaire d’État à l’Intérieur aux côtés d’un certain François Mitterrand, puis, en février 1955, le Soudanais (Malien) Fily Dabo Sissoko (au secrétariat d’État à l’Industrie). Toujours en 1955, chargé de former un nouveau gouvernement, Edgar Faure fait appel à Léopold Sédar Senghor qui devient secrétaire d’État à la présidence du Conseil.
Nouvelles avancées des Africains l’année suivante, puisqu’ils sont deux en janvier 1956 à participer au gouvernement de Guy Mollet : Hamadoun Dicko (Soudan, futur Mali) comme secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie et, surtout, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny comme ministre à la présidence du Conseil. Leur nombre passe à trois en juin 1957 lorsque Maurice Bourgès-Maunoury accède à la présidence du Conseil : à Houphouët, promu ministre d’État, et Dicko, qui hérite d’un sous-secrétariat d’État à la France d’Outre-Mer, vient s’adjoindre un autre Soudanais, Modibo Keita, lui aussi sous-secrétaire d’État à l’Outre-Mer.
La IVe République approche de son terme lorsqu’en novembre 1957 la direction du gouvernement échoit à Félix Gaillard. Celui-ci conserve les trois « Africains » de son prédécesseur, tout en leur confiant d’autres fonctions, et intègre à la nouvelle équipe un Dahoméen (futur Béninois), Hubert Maga, nommé sous-secrétaire d’État au Travail.
Avec l’avènement de la Ve République, en juin 1958, l’Union française ayant cédé la place à la Communauté, il n’y a plus de députés africains à Paris. Mais il reste un ministre, Félix Houphouët-Boigny, qui siégera au gouvernement français jusqu’à ce qu’il devienne, en mai 1959 Premier ministre de son propre pays.
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